Un zoo en hiver / Jirô Taniguchi
Faut-il vivre
ses rêves ou attendre qu'ils se réalisent ? Et d'abord, est-ce qu'on a
véritablement le choix ? Mitsuo Hamaguchi n'a pas encore vingt ans en
1966. On apprendra bientôt qu'il dessine depuis toujours, y compris,
quand il était petit, sur les murs de la maison. Pour l'heure, il
travaille chez un grossiste de textiles à Kyoto, où on l'emploie un peu
à tout faire. Y compris à chaperonner la belle Ayako, la fille du
patron, qui a plongé la famille dans la honte pour avoir trompé et
quitté le mari qu'on lui avait trouvé. Au fil de ses sorties avec elle,
Hamaguchi découvre qu'on peut vouloir vivre libre, et faire de la place
à ses rêves...
Le rêve d'Hamaguchi, c'est de faire du manga. A
la faveur d'une visite à Tokyo à son ami Tamura, il se fait embaucher
dans l'atelier de Shiro Kondô, l'auteur du Prince de l'aventure,
publié dans le magazine « Shônen Holiday ». A l'époque, le
manga est en plein bouillonnement, il se crée de plus en plus de
revues. A l'atelier, il y a du travail, surtout les jours de bouclage.
Il n'est pas rare que les assistants terminent leur journée vers trois
heures du matin, tandis que le maître est sorti pour une de ses virées
nocturnes avec son ami Tetsuo Kikuchi. Hamaguchi, qui se débrouille
bien, est embauché sur le champ comme assistant pour dessiner les
décors et faire des retouches. La tâche est parfois ardue, souvent
ingrate, mais Hamaguchi est porté par son désir d'en être, et la
commune passion pour la création qu'il partage avec des collègues.
« Un atelier est un lieu où on construit des rêves. Il est habité
par quelque chose de particulier. On dit bien que dans les lieux où on
crée il y a quelque chose d'indéfinissable qui attire les gens. »
Kazuo, le frère aîné de Mitsuo, missionné par
leur mère pour le dissuader de continuer dans cette voie incertaine, se
rend comme les autres à l'évidence : il est bon que le jeune homme
fasse ce qui lui convient. Sans doute l'aîné se souvient-il d'avoir
renoncé lui-même, à une certaine époque, quand leur mère les élevait
seule et que le cadet avait encore besoin de lui... La pudeur et la
délicatesse japonaise empêchent ce genre de considérations
d'empoisonner les relations fraternelles, mais le regret affleure tout
de même.
Mitsuo n'a pourtant réalisé qu'une partie de
son rêve. Devenir mangaka, c'est publier ses propres histoires, ne plus
être assistant, avoir son atelier à soi. Il cogite avec plus de
velléité que de réel travail, gaspillant le peu de temps libre que lui
laisse l'atelier à imaginer qu'un jour il pourrait écrire. La rencontre
avec la fragile Mariko changera pourtant le cours de sa vie, débloquant
le processus d'écriture et le poussant à aller au bout de son travail.
Elle donnera Un voeu fait aux étoiles, la première histoire publiée de Mitsuo, miroir et résultat de leur histoire partagée...
Existe-t-il, le « mystérieux démon
habitant ce lieu où se créent les rêves » ? Taniguchi lui donne
une existence en nous permettant de découvrir la vie des mangakas et le
processus de création. Comme toujours chez le plus occidental des
japonais, le manga, imprégné du Japon, est également très marqué par la
bande dessinée occidentale, tant dans le trait, toujours réaliste,
jamais déformé comme il peut l'être dans le manga traditionnel, que
dans de multiples détails (peu d'onomatopées ou de bruitages...) Il en
résulte un album limpide, comme toujours avec le grand mangaka,
accessible aux élèves qui s'intéressent au Japon et au manga, mais
aussi aux adultes en devenir qui ne veulent pas renier leurs rêves...
Références :
Un zoo en hiver / Jirô Taniguchi. Casterman, 2009. (Écritures). 978-2-203-02099-3. 15,00 €.