Tohu-Bohu / Shin’ya Komatsu

Créées comme
une compilation de cadavres exquis par un collectionneur invétéré de
petits riens, les histoires qui composent Tohu-Bohu sont une formidable
invitation au voyage et à la rêverie. Elles entraînent le lecteur dans
un univers onirique balançant entre rêve et cauchemar. Beaucoup, comme
le reconnaît l’auteur, mettent en scène un petit garçon, qui renvoie
peut-être à l’enfant qu’il fut, celui qui ramassait bouts de ficelles
et cartes de téléphone (à l’époque lointaine où on les utilisait encore
dans les cabines !) Toutes nous forcent à perdre pied, à déposer
sur la table de chevet notre esprit rationnel, pour admettre les
propositions les plus étranges. Le décor tranquille d’une petite rue,
avec au premier plan un garçon lisant à côté d’un poisson dans son
bocal : tout s’arrête soudain sur cette image, tandis que le vieil
homme assis au fond de la case se lève de son banc et sort des clés
pour remonter la petite fille qui saute à la corde, le petit garçon qui
passe avec un cerceau, le garçon qui lit dans son fauteuil… et même le
poisson ! Deux amis regardent la rivière en crue après la tempête
de la nuit. L’un des deux tire son copain par la manche pour aller plus
loin, mais il reste étrangement immobile, tandis qu’un passant explique
sans sourciller : « ce n’est rien… son esprit a plongé dans
la rivière, voilà tout. Il retrouvera son état normal quand le niveau
de l’eau aura baissé. Il ne faut pas t’en faire. »
Certaines histoires sont bien sombres, sinueuses comme de mauvais rêves
envahis par les ronces et les créatures malveillantes. D’autres sont
lumineuses, abritées par les ruelles tortueuses de villages inondés de
soleil. Toutes sont légèrement décalées, juste assez pour faire le lien
entre réel et imaginaire. Telle cette maman qui déguste une gelée à la
calebasse au bord de la mer avec son enfant : « quand je
mange ça… j’ai l’impression de me souvenir du temps où j’étais une
méduse… » Il y a encore ce petit garçon qui longe à vélo des
routes bordées d’arbres, des plages, des trottoirs de villes et de
longs chemins qui mènent jusqu’aux étoiles… Certaines sont à la lisière
du fantastique, d’autres complètement imaginaires. Certaines sont
drôles, comme cette histoire d’un petit ramoneur qui recueille une
drôle de boule ronde et noire toute dure, à qui son collègue fait
croire qu’il s’agit d’un œuf de girouette dont il convient de prendre
bien soin pour faire éclore un bébé girouette… Ou cette planche qui
montre deux personnages sautant alternativement à pieds joints sur un
interrupteur…
Qu’elles amusent,
qu’elles inquiètent ou qu’elles émeuvent, toutes ces histoires réunies
composent un voyage poétique dans un univers mi-fantastique
mi-merveilleux. Esprits rationnels s’abstenir ! Il faut ici lâcher
prise et accepter de se laisser embarquer pour savourer à plein les
beautés de ce drôle de monde. Difficile pour une fois de cibler un
public, les niveaux de lecture pouvant être extrêmement variés. Les
lycéens bien entendu peuvent lire Tohu-Bohu, mais aussi pourquoi pas
les collégiens, voire des lecteurs plus jeunes ?
Références :
Tohu-Bohu. Shin’ya Komatsu. éditions imho, 2012. 14 €. 9782-9-15517-91-0.