Tant que nous sommes vivants : Frédéric Bihel, d'après Anne-Laure Bondoux


Alors que le dernier roman d’Anne-Laure Bondoux a reçu le prix Pépite d’Or au dernier salon de Montreuil, cet album conçu pendant le confinement offre une relecture d’une autre de ses œuvres, « Nous traverserons les orages » . Une relecture, car la structure même du roman est repensée ici par Frédéric Bihel, avec l’accord de l’autrice qui signe la postface. L’œuvre originale est composée en trois parties, trois temps de la vie d’un couple et de leur enfant. Frédéric Bihel prend le parti d’ouvrir son album par la deuxième partie, lorsque Bo et Hama sont recueillis par une drôle de famille de quinze frères et sœurs de petite taille qui vivent sous terre. Épuises et perdus, les deux amoureux ont dans les bras un bébé, une toute petite fille, Tsell, à qui l’histoire est racontée par une narratrice qu’on découvre à la fin de l’histoire. C’est ainsi que toute la première partie, la rencontre entre les deux jeunes gens dans une ville ouvrière, où ils travaillent tous les deux dans la dernière usine à la ronde, qui fabrique du matériel pour une guerre qui se déroule on ne sait où, sert de conclusion et d’ouverture à l’album. Une manière d’insuffler la vie et l’espoir dans cette histoire où tout est sombre et souterrain, et où les personnages doivent s’enfuir s’ils veulent tenir leur promesse : tant qu’ils seront vivants, ils ne se quitteront plus jamais. Au prix de laisser derrière eux leurs proches, et même leur fille, parvenue au seuil de l’adolescence…


Des planches ouvrant de vastes espaces de plaines ou de forêts, des carnets où s’invite un dessin d’enfant ponctuent les cases aux dominantes marron-rouges ou gris-bleu, pour offrir des ouvertures au récit de sa vie que Tsell découvre peu à peu : sa toute petite enfance protégée par la famille de Douze, la découverte de son étrange particularité (elle ne projette pas son ombre mais celle d’une multiplicité d’animaux, comme si son enveloppe ne correspondait pas à ce qu’il y a en elle), les blessures que contient l’histoire de ses parents (l’accident de l’usine qui a coûté ses deux mains à Hama, les habitants de la ville qui rejettent Bo parce qu’il vient d’ailleurs…) Tout cela se met en place peu à peu, et tandis que Tsell assemble les morceaux du puzzle de son histoire, elle prend peu à peu sa place et choisit de poursuivre le projet de Bo, en reprenant le théâtre d’ombres qu’il avait forgé et en y ajoutant la puissance de ses propres ombres.


Quoi que très sombre dans le choix du graphisme et des couleurs, l’album dessine une voie vers un futur choisi et assumé par des personnages qui prennent en main leur destin. C’est une porte d’entrée vers le roman, sombre et très beau lui aussi. A conseiller dès le collège, au lycée et LP.



Références :
Tant que nous sommes vivants / Frédéric Bihel, d’après Anne-Laure Bondoux. Futuropolis, 2022. 24 €. 978-2-7548-3166-6.