Le Tirailleur / Alain Bujak, Piero Macola
Alain Bujak est photographe. A la fin des années 2000, il a fait la
rencontre d'Abdesslem El Bachir, un vieil homme digne qui vivait dans
le foyer Adoma de Dreux (ex-Sonacotra). Petit-à-petit, Abdesslem a
commencé à lui raconter sa vie. Comment vers l'âge de 15 ans, il est
devenu tirailleur marocain sans avoir compris pourquoi. Alors petit
berger des montagnes de Taza, il rencontre un copain à la ville où il
est venu chercher un bidon de pétrole pour les lampes de la famille.
Nadim lui propose d'aller voir les camions des militaires français
stationnés sur la place du village de Taza. A l'époque personne n'avait
encore vu un camion en vrai ! C'est comme ça que les militaires
les ont enrôlés tous les deux, en les faisant monter dans le camion
qu'ils étaient train d'observer. Mais Abdesslem est impressionné par
l'uniforme qu'on lui a donné, l'organisation du camp, le drapeau, les
équipements... Alors il ne dit rien quand on lui annonce qu'il a signé
pour quatre ans, parce que le sultan Sidi Mohammed Ben Youssef a lancé
un appel solennel : « Nous étions liés à [la France] dans les
temps de tranquillité et d'opulence et il est juste que nous soyons à
ses côtés dans l'épreuve qu'elle traverse et d'où elle sortira, nous en
sommes convaincus, glorieuse et grandie. »
C'est comme ça, comme par fatalité, qu'Abdesslem et ses camarades
seront mobilisés en octobre 1939, puis lâchés par leurs supérieurs
après l'Armistice, avec pour seule consigne surréaliste de rejoindre
Marseille pour être rapatriés au Maroc sans s'être fait prendre par les
Allemands... Comme ça encore qu'il sera parqué dans un camp pour les
prisonniers de couleur, parce que les nazis ne voulaient pas d'eux sur
le sol allemand. Comme ça que de retour à Taza il recevra la consigne
de se battre contre les Américains débarqués au Maroc, puis renvoyé en
Italie pour libérer les forts de montagne permettant d'ouvrir la voie
vers Rome, et lâché dans la jungle en Indochine, entre tirs isolés des
Viêt-Minh, scorpions et dysentrie.
« Moi, j'avais terminé
mes quatre ans. Je voulais juste rentrer à la maison. Mais personne ne
m'a demandé mon avis. Un officier m'a informé qu'on allait partir au
combat et que j'étais engagé pour quatre ans de plus. »
Sénégalais ou Marocains, les tirailleurs seront les oubliés de l'armée
française. C'est pour ça qu'Alain a rencontré Abdesslem à Adoma :
pour avoir droit à une allocation vieillesse, il faut résider au moins
neuf mois par an en France. Logique quand on a sa vie entre Fès et
Taza, une femme, des enfants et des petits-enfants qui ont passé une
partie de leur existence à vous attendre... Le récit d'Abdesslem, mis
en mots par Alain Bujak, est porté par les dessins pleins de douceur et
de pudeur de Piero Macola, qui tisse un univers sensible autour du
vieil homme et de ses souvenirs. Il est complété par les photographies
d'Alain Bujak, qui a fait le voyage au Maroc pour retrouver Abdesslem
auprès des siens. Ce volet est une conclusion et un contrepoint au
récit, qui clôt l'injustice faite à cet homme et à ses camarades par la
France. Un travail de mémoire utile, à proposer en lycées.
Références :
Le tirailleur / Alain Bujak, Piero Macola. Futuropolis, 2014. 19 €. 978-2-7548-0892-7.