Des souris et des hommes, d'après le roman de John Steinbeck / Pierre-Alain Bertola
« A quelques milles au sud de Soledad, la
Salinas descend tout contre le flanc de la colline et coule, profonde
et verte. L'eau est tiède aussi, car, avant d'aller dormir en un bassin
étroit, elle a glissé, miroitante au soleil, sur les sables
jaunes. »
Cette adaptation en bande dessinée du roman de John
Steinbeck a beau être en noir et blanc, elle évoque avec finesse les
couleurs et l'ambiance de la Californie des pauvres qui est la toile de
fond de l'univers de Steinbeck. Aridité du paysage et des relations
humaines, dans ce pays de ranchs où les ouvriers rêvent à
l'inaccessible propriété... George et Lennie sont de ceux-là, passant
de ranch en ranch au gré de leurs déboires, imaginant au fil de la
route leur avenir sur un lopin bien à eux : « cinq hectares. Y a
un petit moulin à vent, une petite maison et un poulailler. Y a une
cuisine, un verger, des cerises, des pommes, des abricots, des noix,
quelques fraises. Y a un coin pour la luzerne, et de l'eau tant qu'on
en veut pour l'arroser. Y a un toit à cochons... » Et des lapins.
Des tas de lapins pour Lennie qui aime tant caresser ce qui est doux !
Pour l'heure, ils ne font que prêter leurs bras à
d'autres, car ils n'ont rien. Souvent obligés de vider les lieux, quand
quelque chose a mal tourné et qu'ils doivent se faire oublier. Ce qui
arrive régulièrement, car Lennie, s'il est un brave type, n'a que du
vent dans la tête. Et comme il est une vraie force de la nature, il a
le chic pour se mettre dans des situations inextricables. George veille
sur lui, car il n'a plus personne depuis que sa tante est morte. Alors
ils font la route, en attendant d'avoir accumulé assez d'argent pour
s'acheter le terrain de leurs rêves. Dans leur nouveau boulot, ils
peuvent espérer ramasser cinquante dollars chacun en un mois. En
s'associant avec le vieux Candy qui a des économies rapport à sa main
qu'il a perdue au travail, en deux mois ça peut être fait. Ce n'est pas
l'avis de Crooks, le nègre du ranch, qui en a vu d'autres : « j'ai
vu des centaines d'hommes passer sur les routes, chacun avec son petit
lopin de terre dans la tête, mais y en a pas un qu'est foutu de le
trouver. » Et en matière de dèche, on peut dire que les noirs
américains de cette époque en connaissent un rayon...
Cette version dessinée des Souris et des hommes est
une adaptation très juste, qui rend la densité humaine de chacun des
personnages du roman, leurs rêves empêchés, la rudesse des hommes qui
ne connaîtront rien d'autre que la misère et l'exploitation. Quelques
brèves plages contemplatives ponctuent le récit, où l'indifférence de
la nature rejoint celle des hommes, emportés malgré eux par ce qu'ils
sont... Le traitement brut du dessin, en à-plats d'encres aux nuances
de gris, renforce cette impression de fatalité sociale qui se dégage
des romans de Steinbeck, avec une approximation dans le trait qui frise
parfois l'abstraction et rend les personnages imperméables à notre
compréhension. L'album est à lire bien évidemment en lycée, mais peut
être proposé dès la 3e. Il intéressera vraisemblablement, comme toutes
les adaptations d'œuvres littéraires, les professeurs de lettres.
Références :
Des souris et des hommes, d'après le roman de John Steinbeck /
Pierre-Alain Bertola, Maurice-Edgar Coindreau (traducteur). Delcourt,
2010. (Mirages). 14,95 €. 978-2-7560-1761-7.