Portugal / Cyril Pedrosa



    Après un détour au rayon bio en guise de déchiffrage drolatique des mœurs du bobo (bobo ou pas bobo ?) écoresponsable, Cyril Pedrosa poursuit son voyage en autofiction (ou presque) sur les sujets plus graves que sont la filiation, les relations familiales, l'immigration... Avec toujours le même humour distancié, voilé d'une légère gravité. Simon Muchat (avec un « t », pas comme le peintre) est un jeune auteur illustrateur en quête de sens dans sa vie personnelle autant que professionnelle. Claire est pourtant une fille à ne pas laisser passer : jolie, drôle, gaie, efficace, décidée... Ce n'est que quand il dessine que Simon semble libre, planant tout seul du bonheur de faire naître une girafe de l'espace, avec un cou télescopique, dans l'atelier qu'il anime avec des enfants qui ont l'air de n'en n'avoir pas grand chose à faire.

    Une invitation dans un petit festival de BD au Portugal est la première secousse dans cette vie sans but. Un peu à la manière du blast de Manu Larcenet, Simon est envahi à plusieurs reprises, au cours de ce premier voyage, par des sensations et des visions incontrôlables : étrange colère et douce mélancolie... De se sentir un peu chez lui au Portugal n'aide pas Simon à prendre sa vie en mains, mais d'autres le font pour lui (de l'ami qui le somme de se remettre à écrire à Claire, décidément une fille bien jusqu'au bout, qui prend la décision de partir parce qu'elle sait que lui n'aura jamais le courage de le faire, même s'il n'a pas le désir qu'elle reste...) Le mariage d'une cousine est l'occasion de retrouvailles familiales. Jean, le père de Simon, Jacques, le père de la mariée, et Yvette, leur sœur. Quelques jours en terres bourguignonnes pour se parler un peu, malgré le long silence d'une fratrie qui ne se fréquente pas. Dévoiler pour chacun une parcelle de sa vérité; sa vision du père, immigré portugais qui s'est tué au travail, observant de loin ses enfants élevés par leur mère, n'essayant pas, pour diverses raisons, de mettre du liant dans la vie de famille... Ces quelques confidences poussent Simon à remonter le fil de son histoire familiale, en repartant au Portugal, dont il ne sait rien mais où on le connaît, dont il ne parle pas la langue mais où tous les villageois ont des rudiments de français : beaucoup sont partis, ou ont de la famille qui est partie, parce qu'ici il n'y a pas de travail. Là-bas l'attend l'ancienne maison de son grand-père, une légende familiale, de belles lumières et de la chaleur humaine, puis quelques pistes pour tenter de comprendre pourquoi des deux frères, Abel et Manuel, son grand-père est resté en France tandis que son grand-oncle rentrait au pays. Un choix dont les raisons furent peut-être les racines de la mésentente familiale ?
« ''L'amour et la honte'', cela pourrait être la devise des familles de migrants ».

    La « patte » Pedrosa est bien identifiable dans ce long récit dont on perçoit sans mal l'importance qu'il revêt aux yeux de son auteur. Même trait légèrement dérapé, voire parfois totalement décalé du réel, même approche faite de distance pudique et de franchise dubitative. Les couleurs de la dernière partie (celle du retour de Simon au Portugal) sont chaudes et vivantes par opposition au reste de l'album. Cette plongée au cœur d'une famille, dans laquelle on parle beaucoup le portugais, vaut pour le voyage linguistique et culturel autant que pour la réflexion universelle sur les liens du sang, les ressorts et les implications de l'immigration. Un pavé à proposer en lycée, plutôt aux bons lecteurs.


Références :
Portugal / Cyril Pedrosa. Dupuis, 2011. (Aire Libre). 978-2-8001-4813-7. 35 €.