Polina / Bastien Vivès



    Après l'énigmatique Goût du chlore, qui avait reçu le prix Essentiel révélation à Angoulême 2009, avec ce Polina, Bastien Vivès a largement fait parler de lui en 2011, en raflant une multitude de prix. Le trait s'est épaissi et contrasté, même si la patte est bien la même, et identique aussi l'univers plein de silences de cet auteur qui ne donne pas tout à voir.
    Polina est un petit bout de femme entêtée et peu loquace, qui prépare le concours d'entrée de l'académie de danse Bonjinski. Beaucoup de petites filles rêvent de devenir danseuses, même au prix des sacrifices que prescrit la mère de Polina : « même si tu as mal, surtout, ne le montre pas ». Polina retient la leçon très vite, et se coule dans le moule dès ses six ans. Admise à l'académie, elle travaille dur, progresse, retient les leçons du professeur Bojinski : la danse est un art qui ne s'apprend pas. Il faut l'avoir dans le sang. Ce qui n'empêche pas de travailler dur : « les gens ne doivent rien voir d'autre que l'émotion que vous devez faire passer. Si vous ne leur montrez pas la grâce et la légèreté, ils ne verront que l'effort et la difficulté ». Tendue vers son but, le regard le plus souvent indéchiffrable, Polina apprend et dompte son corps. Bientôt admise au théâtre, elle s'efforce de rester la bonne élève qu'elle a été jusqu'alors. Mais les consignes qu'on lui donne la déroutent : elle devrait exprimer des choses, faire preuve de curiosité, se mettre en danger... Sourcils froncés, Polina tend vers un but qu'on a du mal à imaginer. Pourtant, sa trajectoire va sortir des rails à plusieurs reprises, provoquant un voyage vers l'ouest et vers plus de liberté : la rencontre avec la troupe de Mikhail Laptar est une première sortie du classique. Puis le départ pour Berlin, comme on se jette à l'eau. Tout reprendre à zéro, refaire sa vie à partir de rien. Une rencontre encore, qui décidera du reste de sa carrière : avec des copains qui écrivent du théâtre, et à qui elle ouvre des portes insoupçonnées avec sa danse...
    Des débuts jusqu'à la reconnaissance, Polina reste un personnage énigmatique, qui ne livre pas ses états d'âme ni ses sensations. Sans doute faut-il être un peu endurci pour pratiquer cette discipline exigeante qu'est la danse, a fortiori la danse classique. Le choix d'un trait qui n'embellit pas contribue au parti pris de montrer ce milieu de l'intérieur, avec toute son âpreté. On peut néanmoins rester un peu extérieur, ça a été mon cas, et trouver peu attachante cette danseuse obstinée. Reste un album exigeant sur un sujet susceptible de toucher assez largement, ce qui en fait un titre à proposer sans trop d'hésitation au lycée. Même si Polina comme Le goût du chlore laissent un peu sur sa faim, à espérer vaguement que Bastien Vivès, la prochaine fois, nous tende plus franchement la main pour nous permettre de nous approcher de lui...


Références :
Polina / Bastien Vivès. Casterman, 2011. 978-2-203-02613-1. 18 €.