Pico Bogue, 4. Pico Love / Dominique Roques, Alexis Dormal
Pico Bogue,
sa petite soeur Ana Ana, ses parents et son petit univers nous
reviennent pour un quatrième tome qui annonce la couleur : l'amour, ses
délices et ses tourments. Surtout quand on est un garçon (comment
comprendre les filles ?), et surtout quand on on est un enfant (tout
ça, c'est des affaires de grands ?) Pico est ici troublé par la blonde
Lucie, au point de laisser échapper de jolis lapsus : « Lucie, je
peux t'aimer ?... Heu... t'aider ? » Mais rien n'est simple, car
Lucie ne veut pas jouer avec lui sous prétexte qu'il est mauvais
élève... Ana Ana, elle, partage avec ses copines des théories beaucoup
plus simples sur la question : « moi, j'ai une pierre à la place du
cœur. Mais pour que je la jette sous des roues, il faudra au moins une
Ferrari ». Ce qui ne laisse pas d'inquiéter ses géniteurs, quand
elle explique toute candide qu'elle a fait une liste des mots (perfide,
sordide, vandale, et surtout toxique, qu'elle trouve trop mignon) dont
elle est tombée amoureuse. Elle ne sait pas ce qu'ils signifient, mais
elle les aime parce qu'ils sont beaux...
Ce tome, comme les précédents, égrenne des instants de vie à hauteur d'enfance (voir dans le tome 3 - Question d'équilibre
- le jardin immaculé par la première neige, complètement piétiné à
l'issue d'une fameuse partie de boules de neige !), sans grands
événements, juste pour le bonheur de la chronique. Ici ou là, on
retrouve les théories à n'en plus finir chères à Pico, comme cette
confrontation verbale sur l'anticonformisme qui l'oppose à un
maître-nageur banalement désireux de le voir se mettre à l'eau comme
tout le monde... On reconnaît aussi les aphorismes qui signent le
personnage, en butte à ses habituels soucis : « la beauté des
choses n'existe que dans l'esprit de celui qui contemple ces
choses ». « Faudra pas oublier cette phrase quand tu
contempleras mon bulletin », déclare-t-il à sa mère. Saveur de la
série, l'efficacité visuelle est particulièrement nette dans cette
bande, un plan américain dans lequel, par la force des choses, on
n'aperçoit de Pico que le tignasse ébouriffée et le nez en l'air. Une
efficacité qui s'exprime également dans la double page montrant Pico et
sa sœur qui jouent au foot sur une plage. Outre la délicatesse de la
mise en couleurs, le choix du cadrage et l'économie de moyens sont une
vraie réussite : on voit Pico shooter systématiquement au-dessus de la
tête d'Ana Ana, la petite fille qui court après le ballon s'appliquer
le renvoyer aussi loin que possible, jusqu'à la grimace finale quand,
suite à un coup de pied moins vigoureux que les autres, le ballon
s'arrête à mi-chemin et que le grand frère ne fait pas un pas pour
aller le chercher... La subtilité du graphisme et l'équilibre des
couleurs aquarellées rappellent évidemment Sempé. Comme avec lui, les
planches de Roques et Dormal passent avec bonheur le test de
l'agrandissement, se contemplant en exposition comme de mini-tableaux
pleins d'humour et de douceur.
Peut-être un peu moins drôle que les tomes
précédents, cet album se déguste toutefois avec grand plaisir. Il
touche les enfants même jeunes (j'en ai vu dans l'expo qui se faisaient
lire avec délices les bulles par leurs parents). Il sera donc
tout-à-fait accessible en collège, et lisible jusqu'à un âge avancé (je
me demande néanmoins dans quelle mesure il peut rencontrer le lectorat
intermédiaire, plus dans l'enfance et pas encore dans les
préoccupations de l'âge adulte ?)
Références :
Pico Bogue, 4. Pico Love / Dominique Roques, Alexis Dormal. Dargaud, 2010. 11,55 €. 978-2-2205-06521-3.