Peau d'âne / Baudoin
Dans la
lignée de Delcourt avec Ex-Libris, Gallimard propose avec sa collection
« Fétiche » des adaptations en bandes dessinées de textes
littéraires. Pour un résultat souvent ambitieux et réussi, comme
c'était le cas avec Le Petit Prince de Sfar, et comme ça l'est avec cette lecture de Peau d'âne
par Baudoin. A mi-chemin de l'album et de la bande dessinée, du conte
et de la réflexion sur le genre, cet album ne se contente pas d'une
illustration, mais propose un regard sur l'œuvre originale. Le conte
est bien connu, notamment (mais pas seulement) par le biais du film de
Jacques Demy : un roi fou d'amour pour sa femme lui promet sur son lit
de mort de se remarier, à condition que ce soit avec une femme au moins
aussi belle qu'elle. Cette femme, ce sera sa fille, la seule à pouvoir
égaler la beauté de la disparue...
L'histoire est ici racontée par un père à sa fille,
tous les soirs au coucher, par épisodes. Entre ces épisodes
s'intercalent les rêves que fait la petite chaque nuit, mêlant ses
questions sur la suite du récit à son ressenti. A ces deux formes
s'ajoutent des moments de discussion entre le père et sa fille, où
s'expriment commentaires, suppositions, interprétations. Trois formes
graphiques assez différentes dialoguent donc au fil des pages, de la
plus stylisée (les dessins d'enfant des rêves de la petite fille) à la
plus réaliste (les tête à tête du soir entre le père et l'enfant). La
stylisation permet à l'auteur de marquer les temps forts du récit,
comme le visage du roi lorsqu'il apprend que la seule jeune fille qui
soit plus belle que sa femme est sa propre fille. Elle est aussi une
composante de la narration : le cheval Tempête est à cet égard assez
représentatif du rythme propre du récit. Elle est encore une réponse
graphique à une difficulté littéraire : la princesse « était belle
comme il est difficile d'imaginer et impossible de dessiner »
(quoi que par ailleurs le dessin rende justice à cette beauté, à sa
manière, comme de biais).
De très beaux tableaux parsèment le récit : le ciel
menaçant qui couvre la fuite de la princesse (et qu'on retrouve en
première de couverture), camaïeu de gris dans lequel se dessinent l'œil
rouge et les griffes acérées des monstres nocturnes. Les voyages des
serviteurs du roi pour aller quérir les différents ingrédients
nécessaires à la fabrication des robes merveilleuses réclamées par la
princesse : les bateaux de Colomb partent à la découverte de l'Amérique
dans le seul but de ramener le bleu de la robe couleur du temps...
Quant aux trois robes, qui se déploient chacune sur une pleine page,
elles tiennent leurs promesses de somptuosité, évoquant Chagall ou
Klimt dans des illustrations richement colorées.
Le cheminement de la petite fille met en perspective
le conte. Questionnements : « on peut se marier avec son papa
? » Ébauches de réponses : dans son rêve, sa marraine la fée lui
explique comment échapper aux monstres, elle écoute attentivement, mais
au matin, elle ne se souvient de rien. Hypothèses : si la princesse
demandait toutes ces robes à son père, c'est qu'il « fallait
qu'elle s'échappe ». « Je crois qu'elle espérait surtout
qu'entre temps son père change d'idée ». Et si la princesse se
cachait sous la peau d'âne, c'est peut-être qu'elle avait honte d'être
encore plus belle que sa mère, de plaire trop à son père, d'avoir fait
mourir l'âne, de ne pas avoir tenu sa promesse... Le parti pris du
regard sur le conte à travers le narrateur et sa fille autorise une
grande liberté graphique et permet des résonances très intéressantes.
L'album peut dérouter le lecteur qui aurait en tête d'autres images,
dont des images de cinéma. Pourtant, comme c'était le cas pour le Petit Prince
de Sfar, le choix de ne pas illustrer donne un résultat très riche,
tant du point du vue de scénario que du point de vue du dessin. Les
professeurs de français devraient apprécier, ainsi que leurs élèves, en
collège comme en LP et lycée.
Références :
Peau d'âne, d'après l'œuvre de Charles Perrault / Baudoin. Gallimard, 2010. (Fétiche). 13,90 €. 978-2-07-062800-1.