Neuf auteurs de bande dessinée s'engagent fermement dans cet album placé sous les auspices de Lucie Aubrac :
« créer, c'est résister. Résister, c'est créer ».
D'autres figures soutiennent le projet : Emmanuelle Béart, qui
s'engagea à l'église Saint-Bernard en 1996, José Muñoz également,
auteur reconnu (Alack Sinner)
qui fut un immigré sans papiers en France pendant plus de dix ans. Les
citations fortes de personnalités engagées aux côtés des sans-papiers,
ou au contraire des textes de personnalités réclamant la fermeture des
frontières, encadrent et accompagnent neuf nouvelles sans concession
qui sont autant de témoignages. Chacun porte en effet une parole, une
histoire singulière qui est le reflet de beaucoup d'autres parcours. Il
y a ces femmes, entrées en France pour fuir une guerre ou suivre un
membre de leur famille, et dont le chemin mène quasi inéluctablement à
la prostitution, dans un parcours où le viol est une étape
désespérément ordinaire. Il y a ces petites bonnes à qui on a promis
une vie meilleure et que de bonnes familles font travailler comme des
esclaves après leur avoir confisqué leurs papiers. Il y a celui qui
tente de constituer son dossier de régularisation, empilant les
documents et les témoignages : au moins dix pages par an, 200 pages
minimum... Il y a aussi le parcours avant l'arrivée en France, absurde
et exténuante traversée du désert, où le danger est omniprésent. Chaque
nouvelle dessinée s'appuie sur un témoignage vécu, et l'ensemble donne
à voir la réalité de l'immigration clandestine dans la France du début
du 21e siècle, mettant à mal certaines idées reçues. Comme en témoigne
le dossier qui accompagne les récits, 90% des étrangers en situation
irrégulière le sont suite à l'expiration de leur titre de séjour. Ainsi
que le montre l'histoire de Joao le jeune brésilien, et contrairement à
l'image véhiculée par les médias, la majeure partie des étrangers
entrant en France y arrive légalement. Le dossier qui clôt l'ouvrage
est aussi ouvertement engagé que les histoires présentées avant,
n'hésitant pas à mettre en parallèle deux textes étrangement similaires
touchant à l'accueil par des familles françaises d'étrangers : la loi
Debré de 1996 sur l'immigration et l'ordonnance de Vichy de 1941
relative au contrôle des Juifs. Des informations très utiles sont
présentées à cette occasion, sur la législation, les cartes de séjour,
le sort réservé aux sans-papiers par les autorités françaises.
Si le projet est radical et efficace, qu'en
est-il du contenu artistique des histoires qui nous sont racontées en
BD ? Les styles très différents créent des univers variés. Celui
d'Alfred, dont on avait pu déceler l'engagement au sein d'une série
comme Le désespoir du singe,
est un de mes préférés pour son inventivité graphique. On y voit des
sbires monstrueux armés de tapettes à mouches pour abattre des avions
de papier chargés d'une fragile collection d'humains. On y devine aussi
tout ce qu'il faut d'énergie à cet enfant d'ailleurs pour se fondre
dans la foule des passagers du métro. Kokor n'est pas mal non plus,
avec son universitaire dont la veste n'en finit pas de perdre ses
carreaux, se diluant lentement dans l'obscurité anonyme, la perte
d'identité....
Visuellement accessible dès le collège, l'album
a à mon avis plus sa place en lycée, du fait notamment de la difficulté
de lecture induite par le choix de la transcription des témoignages
oraux avec le minimum de réécriture possible. Le niveau de langue mais
surtout la façon de s'exprimer peuvent s'avérer difficiles d'accès pour
des élèves de 4e ou de 3e sans accompagnement. Reste, cette précision
faite, un album utile et de belle réalisation, pour ouvrir des fenêtres
et casser les idées reçues qui continuent de circuler sur le sujet.
Références :
Paroles sans papiers / Dirigé par Alfred et David Chauvel. Delcourt, 2007. 978-2-7560-1085-4. 14,95 €.