Le Petit Cirque / Fred



Couverture de l'album    Le Petit Cirque, initialement publié dans Hara-Kiri et Pilote puis en album en 1973, aujourd'hui réédité, est une œuvre qui était particulièrement chère à son auteur. Elle était née d'une planche dessinée dans le cadre d'une série sur les métiers méconnus, tels le lécheur de timbres de campagne, le rémouleur de céleris, et l'homme-obus, qui passait une audition pour se faire embaucher dans un cirque. Déjà on y trouvait un homme, une longue femme noire et un enfant (qui a parfois de faux airs de Philémon). Fred inventa d'autres péripéties et l'histoire du Petit Cirque s'étoffa.

    Chacune de ces péripétie est contée sur deux planches (parution en périodique oblige) et contribue à la chronique de ce cirque hors du commun. Léopold, chef de famille, « directeur » du cirque, conduit son monde. Carmen, visage émacié, expression indéchiffrable, obéit sans la moindre question. L'enfant suit, un sourire perpétuel fiché sur le visage. Entre deux tentatives d'étoffer la troupe (à la chasse au cheval-clown sauvage, à la capture de trapéziste, en faisant pousser une autruche au son d'un violon cueilli sur un arbre), le couple fait face aux aléas de la route. Les rencontres sont variées : un imprésario vantant les mérites de deux frères siamois soudés par les bras, une paire de bourreaux cherchant des bohémiens pour rempailler leur chaise électrique, un couple cherchant à se débarrasser de belle-maman par un numéro de saut à travers un cercle enflammé (« c'est toujours les meilleurs qui s'en vont les premiers, elle est mieux où elle est maintenant, et puis elle n'a pas souffert, heureusement que nous l'avions assurée contre l'incendie. »)
    Parfois cynique, quand Léopold regarde avec une indéfectible indifférence la souffrance d'autrui, souvent surréaliste, quand la roulotte se heurte à son reflet avant de s'apercevoir qu'elle est enfermée depuis un mois dans un carré clos de miroirs, l'univers de Fred sait aussi pencher vers la poésie. Ainsi la planche dans laquelle on voit le chapeau, la roulotte, et d'autres éléments du décor s'envoler comme soufflés par un vent puissant, avant de s'apercevoir que l'ensemble est en fait plongé dans l'eau, comme si un océan avait tranquillement pris la place de l'univers habituel (plutôt désolé) dans lequel évoluent les personnages. Les lavis  et le trait charbonneux de Fred contribuent à la force de cet univers décalé et puissamment évocateur. Il faut toutefois à mon avis une certaine maturité de lecteur pour apprécier à sa juste mesure ce petit bijou de noire poésie. L'originalité de cet univers est à faire découvrir aux lecteurs les plus à l'aise en fin de collège, et surtout aux lycéens (lycée et LP).



Références :
Le Petit  Cirque / Fred. Dargaud, 2012. 13,99 €. 978-2205-00704-6.