Opération Copperhead / Jean Harambat
« Dans les
pages qui suivent, tout n’est pas entièrement vrai, mais tout n’est pas
entièrement faux. » Cet album, prix René Goscinny du Festival
d’Angoulême 2018, relate les dessous de l’opération Copperhead, cette
manœuvre imaginée par Churchill pour divertir les forces de l’Axe en
faisant croire à l’ouverture d’un nouveau front en Afrique du Nord. Il
s’agissait de trouver une doublure du général Montgomery et de la
promener à Gibraltar, à Alger, au Caire… tandis que le vrai
« Monty » rentrerait en Angleterre préparer le débarquement
en Normandie.
Cette histoire d’espionnage, de
contre-espionnage et de cinéma est émaillée de calembours et
d’intertitres sibyllins extraits des œuvres du poète E.E. Cummings
(« quand les serpents marchanderont leur droit à
serpenter »), autant que de considérations existentielles sur les
faux-semblants du métier d’acteur ou les travers de l’armée. Elle nous
promène tout au long du montage de l’opération, depuis le recrutement
d’un acteur vedette (enfin, après Lawrence Olliver) : David Niven
(« un très bon acteur moyen »), et de son alter ego Peter
Ustinov, jusqu’aux dernières répétitions des principales scènes que
devra jouer le faux Montgomery, recruté pour sa parfaite ressemblance
physique avec le général. Avec quelques heurts qui font les bonnes
histoires : le faible de Clifton James pour l’alcool, qui noie son
naturel timide et névrosé et son stress permanent, le coup de foudre de
Niven pour une belle et vénéneuse chanteuse qui travaille en sous-marin
pour les Allemands… De nombreux rebondissements émaillent ce récit à
suspense, qui ne fut pourtant qu’un épiphénomène de la Seconde Guerre
mondiale. C’est le côté bancal de l’opération qui a dû intéresser Jean
Harambat, qui s’amuse avec les choses sérieuses, comme en témoigne ce
duel de comédie auquel se livrent Niven et l’espion allemand dans les
cintres et jusque sur la scène d’un théâtre londonien, avec des épées
factices. Il ne réserve pas ses piques par rapport à l’armée, par
exemple lors du recrutement d’Ustinov par Niven :
« Le kaki vous embarrasse, n’est-ce pas ?
-
J’aime l’armée, sir, sauf dans les domaines suivants : la
discipline, l’uniforme, la hiérarchie… et la violence n’est pas mon
fort, Lieutenant-colonel !
- Votre largeur d’esprit frise le
mauvais esprit, camarade… (…) Vous êtes une recrue récalcitrante et je
suis un instructeur compréhensif. Nous devrions pouvoir faire un film
sur ce sujet avec une certaine expertise, ne croyez-vous
pas ? »
A condition de ne pas être
imperméable à l’humour so british qui infuse tout l’album, on tirera
profit de cette découverte insolite d’un pan de la grande Histoire. Le
trait et la mise en couleurs classiques laissent le champ libre aux
deux atouts principaux de cette bande dessinée : son scenario (cf
le prix sus-cité) et son discours savoureux. Un album à proposer en
collège et lycées.
Références :
Opération Copperhead / Jean Harambat. Dargaud, 2017. 22,50 €. 978-2205-07484-0.