Omaha Beach, 6 juin 1944/ Jean-David Morvan, Stéphanie Tréfouël, Dominique Bertail, Bernard Lebrun
Difficile, à l'heure
d'Instagram, d'imaginer qu'il ne subsiste d'un événement comme le
Débarquement en Normandie qu'une dizaine de photographies seulement...
Mais tout le monde connaît l'image baptisée « The face in the
surf », montrant un soldat allongé dans l'eau, ce 6 juin 1944.
Robert Capa (nom sous lequel est connu Endre Ernö Friedman, photographe
d'origine hongroise) fut l'un des deux reporters de guerre accrédités
pour couvrir cet événement, avec 11 autres correspondants des journaux
et radios de l'époque. Mais seul lui et Bob Landry étaient
photographes. Or leur mission était de première importance : il
fallait aux Alliés des preuves à publier pour convaincre les Russes que
le Débarquement avait bien eu lieu. Landry embarqua avec les troupes à
destination d'Utah Beach, tandis que Capa partait pour Omaha Beach.
C'est une des raisons qui feront de Capa le seul témoin visuel de cet
événement : comme on le sait, les combats sur cette dernière zone
furent les plus compliqués de toute l'opération, pour de nombreuses
raisons (militaires, météorologiques...) Il témoigne dans son
autobiographie (« Slightly out of focus ») de son
choix : « le photoreporter est plus gâté en alcool, en
filles, en salaire et jouit d'une plus grande liberté que le bidasse.
Mais au moment critique, être libre de choisir son affectation,
c'est-à-dire avoir la possibilité d'être un lâche sans être exécuté,
est une torture morale. Je suis un joueur. J'ai décidé de partir avec
la compagnie E du deuxième bataillon, en première vague d'assaut. »
C'est ainsi que Capa va passer deux heures sur la plage d'Omaha,
progressant difficilement jusqu'à l'abri d'une défense antichar, puis
d'un tank à moitié brûlé, prenant ses clichés dans la confusion des
combats. Jusqu'à ce que, selon son témoignage, il ne parvienne plus à
changer son film (mains mouillées, peur, tremblements?) Il remonte
alors sur une péniche, pour changer sa pellicule. Ce sera la fin de
reportage, la péniche bombardée coule et il est recueilli par un navire
ravitailleur qui le ramène, avec les blessés, en Angleterre. Ses films
parviennent au bureau de « Life », qui est pressé par l'armée
de fournir des images. Une erreur dans le tirage des bobines entraîne
la perte de la plupart des clichés : seuls 11 négatifs restent
exploitables. Mais ceux de Landry sont carrément perdus dans leur
transfert vers l'Angleterre : les photos de Capa deviennent les
seuls témoignages visuels de ce qui s'est passé sur les plages
normandes ce 6 juin 1944.
Ce livre au
format à l'italienne se compose de trois parties : une bande
dessinée en noir et blanc et nuances de gris qui narre l'engagement de
Robert Capa photoreporter dans le Débarquement en Normandie, les onze
photographies qu'il a prise ce jour-là, puis une biographie plus
complète de « l'homme qui s'inventa lui-même ». Les auteurs
de la bande dessinée comme celui de la biographie n'éludent pas les
questions que posent ce personnage, humaniste, engagé contre la guerre
et ayant passé sa (courte) vie à la photographier, fondateur de la
coopérative de photographes Magnum Photos, mais aussi joueur, amateur
de femmes et de champagne... Reste que Robert Capa a participé à
l'histoire à travers ses clichés, et que, justement à l'heure où la
photographie devient une modalité banale du récit de soi, cet album
offre un éclairage utile autant pour l'histoire que pour l'histoire des
arts... Lauréat du prix de la Nouvelle République BD Boum 2014, à
glisser dans les bacs dès le collège, au lycée et LP.
Références :
Omaha
Beach, 6 juin 1944 / Jean-David Morvan, Stéphanie Tréfouël, Dominique
Bertail, Bernard Lebrun. Dupuis, 2014. 978-2-8001-6198-3. 15,50 €.