Il est des hommes qui prennent la mer pour changer de vie, par
nécessité, parce qu'ils l'ont toujours fait, parce qu'ils ne savent pas
vivre à terre. Il en est d'autres qui s'embarquent pour se venger. Le
capitaine Achab, dont l'histoire bien connue est racontée par Herman
Melville, est de ceux-là. Les armateurs des baleiniers de Nantucket
envoient leurs hommes en campagne pour ramener la précieuse huile de
baleine. Tous les capitaines prennent la mer avec ce mandat, et se
gardent de mettre leurs hommes en péril inutilement. Tous, sauf Achab,
qui a perdu sa jambe, emportée par le cachalot blanc. Depuis, il n'a
d'autre souci que de tuer Moby Dick, qu'il identifie à ses douleurs
physiques autant qu'à ses souffrances morales. Quitte à mettre tout un
équipage en péril, quitte éventuellement à tuer son second s'il n'obéit
pas sans discuter...
Ponctuée de citations du texte original, cette interprétation du roman
de Melville s'impose avec évidence. Le trait incisif, les jeux d'ombre
tranchants dont Chabouté a fait sa signature semblent redire l'histoire
dans une autre langue, tout aussi limpide. La sombre résolution proche
de la folie du capitaine, le courage de ceux qui le contestent, la
résistance des hommes, l'endurance qu'il faut pour supporter les
conditions de vie à bord, tous ces sentiments indicibles et contenus se
lisent dans les yeux des personnages et leurs visages fermés. Des
planches muettes ouvrent et ponctuent le récit, installant la menace et
la tension de la vie de marin-pêcheur, et surtout du projet
déraisonnable du capitaine du Pequod. Une séquence est particulièrement
frappante, celle qui montre le dépeçage de la baleine capturée par
l'équipage : gerbes de sang et d'écume, lambeaux de chair, brasier
destiné à la fondre en huile... Le tout entièrement muet, simplement
ouvert par les mots de Melville :
« et
le navire se métamorphosa en une sorte d'abattoir, chaque marin en
boucher. On aurait cru que nous offrions aux dieux de la mer, le
sacrifice de dix mille bœufs rouges.
Frété de sauvages,
chargé de feu, brûlant un cadavre et s'enfonçant dans les ténèbres, le
Pequod semblait la matérialisation de la folie obstinée de son
capitaine. »
D'une
lecture exigeante, cette adaptation est une réussite à proposer dès la
4e-3e aux bons lecteurs, au lycée et au LP.
Références :Moby Dick, livre premier / Chabouté, d'après Herman Melville. Glénat,Vents d'Ouest, 2014. 18,50 €. 978-2-7493-0714-5.