Mazzeru / Jules Stromboni



    En Corse, le mazzeru est porteur de mauvais présages. Dans ses rêves, il tue des bêtes sauvages qui ont le visage de gens qu’ils connaît. S’il vous a vu en songe, c’est que la mort s’approche : dans un an tout au plus (souvent moins), elle vous emportera. Dans un petit village escarpé de l’île de Beauté grandit un garçon aux cheveux clairs qui porte en lui le pouvoir et la malédiction de son grand-père mazzeru. Il grandit au milieu des bêtes du troupeau et des travaux de la ferme, et il croise un jour le regard de la belle Chilina, dont la mère est morte en couches. Jamais il n’oubliera les yeux de la jeune fille, tandis qu’elle disparaît un mauvais jour d’été où le soleil impitoyable concasse la raison des hommes. Comme tous les autres au village, il ne comprend pas cette disparition, ni ce père endeuillé plein de fureur rentrée. Car il a vu ce qu’il n’aurait pas dû voir… Mais un mazzeru ne peut pas provoquer la mort de qui que ce soit volontairement, il est juste le récepteur de visions. L’enfant décide alors de quitter la Corse pour aller construire sa vie ailleurs, devenir mineur sur le continent, et tracer son chemin hors des fatalités de son histoire. Pendant ce temps, Chilina vit, et cachée, elle prépare sa vengeance.

    Cet album grand format n’est plus vraiment une bande dessinée, presque déjà un livre d’art. Les plaques gravées d’encre noire dessinent une Corse à mille lieues des images de carte postale. Pas de couleur ici, hormis celle des quelques planches naturalistes représentant des plantes sauvages toxiques, en ouverture de chaque chapitre. Et pourtant on retrouve la géographie de l’île : ponts génois, végétation rase, villages ramassés sur un piton rocheux, chemins creux, et les pierres dressées de Filitosa. Le trait, parfois brossé à grands à-plats, dessine le plus souvent des portraits au plus juste, au plus près du visage, barbe dure et peaux tannées au soleil. Dans l’obscurité ou dans la pleine lumière, pour représenter des animaux, des humains ou des pierres, il a le même ton juste, tendre et sans concession à la fois. L’album est presque muet, entrecoupé des monologues intérieurs des personnages principaux, en écho des quelques rares dialogues. Moins on se parle, plus grande est la violence entre les êtres. Elle est puissante ici, comme le sont ces pages magnifiquement évocatrices. Un album à mettre entre les mains des professeurs d’arts plastiques, des professeurs de lettres aussi et de tous les amoureux d’histoires au lycée et LP.


Références :
Mazzeru / Jules Stromboni. Casterman, 2017. 29 €. 978-2-203-08441-4.