Le monde d'Aïcha : luttes et espoirs des femmes au Yemen / Ugo Bertotti, Agnès Montanari
« Le niqab est un voile qui couvre le visage de la femme, ne
laissant à découvert que ses yeux. On ne sait pas bien si, pour une
femme, se couvrir le visage est fard – obligatoire – ou simplement
mustahabb – conseillé... Sur cette question, le texte sacré ne semble
pas fournir aux sages d'indications précises... Dans le doute, il est
suggéré à la femme d'évaluer par elle-même, en tenant compte
naturellement des circonstances, et du fait que l'homme est habitué,
depuis des siècles, à la voir couverte. C'est là une vérité
indubitable ! Il est donc clair que la femme éprouvera le désir de
régler son propre comportement en conséquence... et qu'elle voudra
vivre dans la sérénité. »
Le voile, comme une aile d'oiseau noir, est la première image qu'Agnès
Montanari, qui accompagnait alors son mari en mission, a eue des femmes
yéménites. Puis elle les a rencontrées, et elle a appris à reconnaître
la singularité de chacune derrière le masque qui la recouvre.
D'ailleurs, les femmes du Yemen se reconnaissent quand elles se
croisent dans la rue. C'est alors qu'elle a eu envie d'en savoir plus
sur ces êtres fantômes d'une société demeurée « archaïque,
abîmé[e], et magnifique ». Ugo Bertotti mêle les photos d'Agnès
Montanari à ses dessins, aux noirs et blancs en à-plats profonds à
peine ornementés d'arabesques en ombres chinoises. Hamedda, Nabiha,
Fatin, Ouda, Houssen, Nisrin... les prénoms et les destins se
ressemblent, marqués par la même fatalité qui éduque les hommes de ce
pays en leur laissant croire qu'ils sont nés un degré au dessus de la
femme. Petites paysannes ayant passé toute leur enfance à travailler,
mariées à 10 ans pour décharger leur famille de leur entretien
(« le contrat de mariage prévoit que son mari ne pourra avoir de
rapport avec elle qu'après ses premières règles »), plusieurs fois
mères avant 18 ans, et surveillées sans relâche parce qu'elles portent
l'honneur de la famille. Et si le mari disparaît ou qu'un divorce est
prononcé (ce qui devient plus facile maintenant), la femme seule est
regardée comme une paria, puisqu'elle n'a plus de présence masculine à
ses côtés. Même si c'est elle qui rapporte l'argent à la maison et fait
vivre la famille la plupart du temps... Une situation désespérante que
les mères d'aujourd'hui tentent d'éviter à leurs filles en les envoyant
à l'école, mais que la situation de précarité alimentaire que connaît
actuellement le pays ne devrait pas améliorer. Une situation, pourtant,
à laquelle les femmes cachées sous les voiles noirs résistent de
multiples manières...
C'est leur vie et leurs
sentiments que donne à découvrir cet album d'un noir et blanc grave et
profond, animé des photos prises par Agnès Montanari. Pour mieux
comprendre, d'abord, pour espérer, peut-être, que l'éducation change un
petit peu les choses... Au lycée et LP.
Références :
Le monde
d'Aïcha : luttes et espoirs des femmes au Yemen / Ugo Bertotti,
Agnès Montanari. Futuropolis, 2014. 20 €. 978-2-7548-1116-3.