Lydie / Jordi Lafebre, Zidrou

Cette
histoire commence en février 1932, impasse du bébé à moustaches. En
vérité, la voie s'appelle impasse Baron Van Dick. Mais ses habitants
l'ont rebaptisée ainsi depuis qu'un garnement a barbouillé de grosses
moustaches sur le visage souriant d'un bébé de publicité peint sur le
mur du fond de l'impasse. Depuis, entre eux, ils se prénomment les
« moustachus ». C'est une petite communauté solidaire, une
grande famille soudée par les histoires vécues ensemble.
Ce 26 février 1932, c'est une histoire hors du
commun qui débute, sur un chapitre tragique. Le docteur Fabule, ainsi
nommé parce qu'il a pour habitude de raconter à ses patients des
histoires à sa façon, est au chevet de Camille Tirion. Camille, une
gentille fille simple d'esprit qui vit seule avec son père (Papa
Tchou-Tchou, le conducteur de trains) depuis que sa mère est morte en
couches, donne naissance à une petite fille mort-née. L'événement est
rendu tout en délicatesse en une planche : « aujourd'hui est un
mauvais jour pour les bébés ». L'histoire ne fait pourtant que
commencer. Après une période de deuil traitée avec tout autant de
délicatesse, Camille fait irruption dans le bar-épicerie de la rue,
transformée : « mon bébé est revenu ». Deux mois après sa
naissance et sa mort, Camille est persuadée que la petite Lydie lui a
été rendue. Perplexité des proches : Papa Tchou-Tchou tente de la
raisonner mais doit bientôt admettre qu'elle n'a jamais été aussi
épanouie. Perplexité des gens de la rue : il n'y a que Camille qui voie
son bébé, tous les autres la regardent promener un berceau vide,
chantonner dans le vent et câliner des langes... Pourtant, à la cruauté
inconsciente des enfants (les quatre fils Aymard sont toujours prêts à
dire des méchancetés) répond très vite la générosité des adultes, qui
entrent dans le jeu, plus ou moins spontanément.
« C'est comme ça que ça a commencé. Pas
autrement (…) Après tout, pourquoi faire du mal quand il est si facile
de faire du bien ? »
Cette morale toute simple s'impose comme une
évidence (à rebours de tout discours contemporain sur l'efficacité et
ses valeurs corrélées ?), et on s'émeut avec les
« moustachus » en regardant grandir cette Lydie qu'on ne voit
pas. Pourtant, l'évidence du début (Camille, simple d'esprit, poursuit
une chimère) laisse peu à peu filtrer quelques doutes. Certes, c'est
Papa Tchou-Tchou qui mange le gâteau de Lydie quand sa mère a le dos
tourné. Mais qui appelle « grand-père ? » dans la maison ? Et
surtout, comment expliquer que les camarades de classe de Lydie l'aient
toutes dessinée exactement de la même manière, sans voir le dessin des
autres ?
Cette histoire au charme désuet a tout pour susciter
la critique : un côté « Amélie Poulain » dans le rétro
plaisant, un côté « Pierrot lunaire », voire un certain
mysticisme catholique où le bien triomphe, même et surtout s'il est du
côté des faibles, un côté fantastique auquel on peut ne pas adhérer. On
peut aussi choisir de se laisser prendre par la fable, tout en
acceptant la part d'irrationnel qu'elle engage. Et d'humour aussi, à
l'occasion :
« Moi je dis que ce n'est pas bien de laisser croire à cette fille que son enfant est vivant.
- On te laisse bien croire que ta conversation est intéressante ! »
Le trait et l'ambiance rappellent parfois Magasin général, en plus
sépia (dans des tonalités sans doute choisies à dessein). Tous les
« moustachus » ont une trogne, une épaisseur et une humanité
attachantes. On ne voit guère de raison de ne pas se faire du bien avec
cet album plein de douceur, à proposer en lycée et LP.
Références :
Lydie / Jordi Lafebre, Zidrou. Dargaud, 2010. (Long courrier). 14,95 €. 978-2-5050-0808-8.