La légèreté / Catherine Meurisse


Couverture de l'album
    En ces temps de commémoration des attentats de novembre 2015, petit retour sur un album qui évoque le "premier" attentat, celui de janvier. Catherine Meurisse travaillait depuis une dizaine d'année à Charlie Hebdo quand elle s'est levée en retard, ce matin du 7 janvier 2015, pour la conférence de rédaction hebdomadaire. Une peine de cœur mal digérée, qui lui a sauvé la vie en faisant d'elle une rescapée. Ce qui se joue dans cet album, c'est l'après : comment continuer quand tous les autres sont morts sous les balles des terroristes ? Comment tolérer les cauchemars, comment supporter la protection rapprochée de policiers pas toujours délicats (ce qui permet une des rares scènes cocasses de l'album, à coup de sms bancals), comment vivre dissociée ? C'est en effet ce qui lui est arrivé lors de l'attentat : le cerveau génère tant d'adrénaline et de cortisol qu'on peut en mourir, il se met alors en état de dissociation par réflexe de survie, provoquant une anesthésie émotionnelle, sensorielle et mémorielle. Depuis lors, la dessinatrice ne parvient pas à remettre la main sur les émotions culturelles autrefois familières, sur les derniers mots échangés avec un journaliste avant l'attentat, sur les menus épisodes de sa vie d'avant. L'album retrace sa quête dans l'univers qui lui est familier (le monde littéraire brossé par elle dans « Mes hommes de lettres », les œuvres d'art à la villa Médicis où elle loue une petite chambre pour un mois de « soins intensifs », les monuments de la Rome antique). Pour enfin retrouver ce que lui a dit Mustafa deux jours avant le 7 janvier :
    « Envole-toi bien loin des miasmes morbides
    Va te purifier dans l'air supérieur,
    Et bois, comme une pure et divine liqueur,
    Le feu clair qui remplit les espaces limpides. »
    (Charles Baudelaire, qui s'y connaissait en miasmes morbides).

    Ce voyage à la recherche des raisons de rester humain est porté par un trait épuré et des planches plus légères, précisément, qui utilisent le trait plus doux de l'aquarelle et du pastel. Il s'ouvre et se referme sur des horizons dégagés, de grands couchers de soleil qui permettent de regarder la lumière dans les yeux. « Une fois le chaos éloigné, la raison se ranime et l'équilibre avec la perception est retrouvé. On voit moins intensément, mais on se souvient d'avoir vu. Je compte bien rester éveillée, attentive au moindre signe de beauté. Cette beauté qui me sauve, me rendant la légèreté ».

    Un album utile pour aborder le sens de la culture dans l'histoire humaine, qui fonde des valeurs permettant de faire société... Pour les lycéens.


Références :
La légèreté / Catherine Meurisse. Dargaud, 2016. 19,99 €. 978-2205-07566-3.