Le joueur d’échec, librement adapté du roman de Stephan Zweig / Thomas Humeau

« Aucun grand maître n’a une personnalité normale. Ils se
différencient seulement par leur type de folie » (Victor
Kortchnoï, grand maître international, vice-champion du monde d’échecs
de 1978 à 1984).
Cette citation, placée en exergue de l’album
adapté du roman de Stephan Zweig semble particulièrement convenir à
l’homme qui embarque sur le paquebot ce jour de juillet 1947, dans le
port de New-York. Ces yeux étirés qui semblent concentrer toute la
lumière qui est en lui, cette cicatrice à la base du cou… l’inconnu
promène une aura de mystère et de tragique. Personne ne le remarquerait
sans un concours de circonstances. Peu après son appareillage, le
paquebot accueille un hydravion, celui du richissime champion d’échec
Czentovic, qui n’a plus été battu depuis dix ans. Les caprices du
joueur, qui réclame la plus grande chambre du navire, délogent la fille
du capitaine, Emma, qui occupe la chambre en question depuis la mort de
sa mère. Piquée au vif, celle-ci propose à Czentovic une partie d’échec
mettant en jeu la chambre… Bien entendu, elle perd la première partie,
mais réclame une revanche, qui lui sera favorable, car le mystérieux
passager (qui se fait appeler B), s’est mêlé de son jeu. Intrigué par
cet étrange joueur qui lui résiste, Czentovic réclame une partie
supplémentaire, qui se termine par son échec et par une crise de
démence de monsieur B.
L’homme qui jouait mieux que le champion
porte un lourd secret, qu’il révèle à Emma : il a été emprisonné
par les nazis et interrogé des mois durant dans le but de lui faire
avouer où il avait dissimulé des documents que le régime avait ordonné
de détruire. Son seul recours dans cette éprouvante solitude fut un
manuel d’échecs trouvé par hasard dans sa prison, qui lui apprit le jeu
et imprima dans son cerveau la folie qui l’habite : après avoir
appris par cœur toutes les parties proposées, il n’eut plus d’autre
choix que de jouer contre lui-même. Mais c’était une impasse :
« l’unique attrait du jeu d’échec réside dans l’affrontement de
deux cerveaux différents. (…) comment un seul et même esprit
pourrait-il à la fois savoir et ne pas savoir quelle stratégie l’autre
va adopter ? »
Cette histoire forte bénéficie d’un
traitement visuel à la hauteur, où les cases se succèdent et
s’imbriquent comme dans une partie d’échecs, avec un choix judicieux
d’utilisation des couleurs. Les doubles pages monochromes laissent
paraître progressivement une couleur tierce, tandis que la démence qui
gagne emprisonne le joueur dans un damier mouvant qui le morcelle à
l’infini… Cette adaptation est visuellement magistrale, et donnera sans
aucun doute envie aux lycéens de découvrir le roman original.
Références :
Le joueur d’échec, librement adapté du roman de Stephan Zweig / Thomas Humeau. Sarbacane, 2015. 978-2-84865-830-8. 19,50 €.