Il était une fois en France / Fabien Nury, Jason, Sylvain Vallée


Couverture de l'album
Qui était vraiment Joseph Joanovici, Juif roumain immigré en France dans les années 1920, ferrailleur, négociateur-né aux mille vies ? Infâme collaborateur, grand résistant, amoureux fidèle des deux femmes de sa vie, ami indéfectible ou égoïste profond ? Ce personnage historique est le sujet central de cette brillante série sur les heures sombres de la France du 20e siècle. Les auteurs, comme ils s'en expliquent en exergue, ont choisi de mêler aux faits avérés et aux personnages ayant existé des éléments de leur invention. Il s'agit d'une fiction, inspirée de faits réels, qui à travers le parcours d'un homme laisse entrevoir la réalité d'une époque.
    La clé pour saisir le personnage principal est donnée d'emblée par une scène de pogrom, à Kichinev en 1905. Tandis que les maisons brûlent et que tombent les hommes décapités, on aperçoit un jeune garçon, caché sous une charrette et rejoint par une petite fille en larmes. Elle prie, il la fait taire, lui conseille de penser à autre chose en attendant que ce soit fini. Lui c'est Joseph, elle c'est Eva. Ils arrivent à Clichy en 1925 chez l'oncle Krugh, ferrailleur qui tape la belote avec des policiers et doit de l'argent à la pègre locale. Le talent de Jospeh se manifeste immédiatement, lui permettant à très court terme d'effacer l'ardoise de son oncle en lui rachetant l'affaire. Il fait venir son frère Mordhar, bientôt renommé Marcel pour éviter les questions indésirables. Les affaires sont florissantes, menées de main de maître par un Joseph qui ne sait ni lire ni écrire. Ça n'est pas nécessaire pour bien compter, il a mis au point un système largement aussi efficace : il dessine une semelle pour 10, une chaussure pour 100, et une botte pour 1000. L'horizon se brouille pourtant, une guerre se profile. Joseph a eu le temps d'anticiper et de conclure un marché juteux avec Hermann Brandl, dit Otto (qui dirigea la section parisienne de l'Abwehr de 1940 à 1944), à qui il vend discrètement du métal pour l'Allemagne... Tenté par l'exil aux États-Unis en 1940, il renonce au dernier moment, et prend ses dispositions pour traverser l'orage. Il soigne ses amitiés les plus utiles (fait entrer deux agents de la Préfecture dans le capital de sa société) et rebondit comme un chat dans les plus fâcheuses situations. Remarquablement secondé par Lucie, l'autre femme de sa vie, secrétaire, « femme de main » surnommée « Lucie-fer », Joseph se tire des pites situations, faisant accepter au chef de la Gestapo française que, bien que Juif, il peut lui être utile comme allié (« Y'a un dicton, chez moi, en Roumanie... Un dicton qui dit « mieux vaut une vache à traire... qu'une vache à tuer »). Doué d'une lucidité à toute épreuve, il s'adapte à toutes les situations et anticipe sur ses intérêts. Très tôt, il comprend qu'il lui faut soutenir la Résistance pour espérer tirer son épingle du jeu...
    Alors, opportuniste ? Humaniste ? Vrai cynique ? Le portrait ne tranche pas vraiment, même si le personnage nous est plutôt sympathique. Mais saura-t-on vraiment qui est Joanovici, de celui qui considère qu'en dehors de sa famille tous peuvent crever, ou de celui qui achète des papiers pour tous ses employés et fait sortir cent cinquante résistants des prisons allemandes ? Un homme qui a sincèrement fait tout ce qu'il pouvait pour les siens, servant au passage certaines valeurs quand c'était possible ? Un ambitieux doué d'une extraordinaire faculté d'adaptation ? Ses plus proches contacts dans la Résistance savaient visiblement à quoi s'en tenir : « il n'est fidèle qu'à lui-même. Mais ça ne doit pas vous inquiéter... Joseph voit loin. Il sait que c'est son intérêt de nous aider. »

    Les séries historiques sont toujours appréciées des professeurs d'histoire, celle-ci ne devrait pas faire exception. Scénario soigné, dessin et mise en couleurs de très bonne facture, voilà une future valeur sûre des fonds de CDI, accessible dès la 3e, en LP et en lycée.


Références :
Il était une fois en France / Fabien Nury, Jason, Sylvain Vallée. Glénat.
1.L'empire de monsieur Joseph. 2007. 13,50 €. 978-2-7234-5580-0.
2.Le vol noir des corbeaux. 2008. 13,50 €. 978-2-7234-6183-2.
3.Honneur et police. 2009. 13,50 €. 978-2-7234-6873-2.
4.Aux armes, citoyens ! 2010. 14,50 €. 978-2-7234-7716-1.