L'Hôte / Jacques Ferrandez, d'après Albert Camus


Couverture de l'album
    Perdue sur les Hauts-Plateaux, une bâtisse de pierre abrite la vie solitaire d'un instituteur qui enseigne la géographie aux enfants algériens (La Loire, La Garonne, la Seine, le Rhône...) On le devine engagé, par son choix de vie autant que par des gestes quotidiens (la distribution de ses vivres aux enfants de l'école). L'instituteur est né ici, bien placé pour savoir que « ce pays est cruel à vivre... » D'autant plus cruel que les « événements » d'Algérie se devinent déjà, pénétrant bientôt sa vie bien ordonnée à travers l'arrivée d'un visiteur, un gendarme qui amène, poings liés, un prisonnier. L'homme aurait tué son cousin pour des histoires d'argent, mais l'affaire n'est pas très claire. Il faut le conduire à Tinguit, car il serait trop dangereux de le garder prisonnier dans son village ; ça commence à s'agiter là-bas. Le gendarme l'a amené jusque là et s'empresse de repartir : on l'attend à El Ameur où il y a à peine assez d'hommes pour maintenir l'ordre. L'instituteur conduira le prisonnier à Tinguit. Quoi qu'il pense de la mission qu'on lui confie. Le fait est qu'il n'en pense pas beaucoup de bien : d'abord ça n'est pas son métier, et surtout le procédé ne lui plaît pas. Mais on est en guerre, lui répond le gendarme, même si elle n'est pas déclarée. Et c'est un ordre.
    L'instituteur accueille donc son visiteur pour la nuit, lui prépare un lit et partage avec lui son repas. Peu de mots échangés, les deux hommes font connaissance par le regard, la présence, afin de savoir qui est cet autre que la vie vous amène. Le gendarme lui a laissé une arme pour plus de sûreté, mais l'instituteur la range dans un tiroir. Dans cette guerre qui ne dit pas son nom, il ne veut pas s'engager. Un homme reste un homme, quel que soit le camp auquel sa vie (ou le hasard) a voulu qu'il appartienne.

    Jacques Ferrandez raconte l'histoire algérienne depuis longtemps. A la fois proche (il est né là-bas) et extérieur (ses parents en sont partis très vite après sa naissance), il occupe une position privilégiée pour évoquer ce pays et son histoire douloureuse. Une juste position pour adapter la nouvelle d'Albert Camus, témoin lui aussi intime de l'histoire du pays, humaniste qui sait que, dans ce genre de situations, quelque chose dépasse les décisions individuelles des hommes, et qu'il y a une sorte de fatalité de l'histoire qui engage les êtres malgré eux, par ce qu'ils sont, même quand ils tentent de poser des actes libres. Caillouteuse, âpre, l'Algérie des Hauts-Plateaux est rendue par Jacques Ferrandez au fil de double-pages dans lesquelles les vignettes s'inscrivent sur le décor. Il dit avoir voulu prendre le temps de déployer une ambiance, ce que permet une nouvelles courte, qui dit beaucoup en peu de mots. On entend le silence chargé de tout ce que ne disent pas les deux hommes, et ce qui aurait pu être différent s'ils n'avaient pas été ce qu'ils sont, dans le moment où ils ont vécu. Une nouvelle laconique pour réfléchir sur le sens de l'engagement, à proposer aux lycéens.


Références :
L'Hôte / Jacques Ferrandez, d'après la nouvelle d'Abert Camus.Gallimard, 2010. (Fétiche). 13,90 € .978-2-07-06-2870-4.