Les Godillots, 1. Le plateau du Croquemitaine / Olier, Marko
La Grande Guerre a souvent inspiré des univers sombres et durs, notamment en bande dessinée (C'était la guerre des tranchées de Tardi ou Notre Mère la Guerre de Kris et Maël, par exemple), beaucoup plus rarement des albums « jeunesse ». C'est le cas avec Les Godillots, recommandé par l’Éducation nationale, et qui ose un univers moins plombé sans pour autant dédramatiser le conflit.
Ce premier tome s'intéresse à une indispensable mission de
l'ombre : celle du ravitaillement des positions avancées. Deux
soldats sont chargés de la « roulante », la cuisine
itinérante qui apporte la nourriture dans la tranchée B12. Pour cela,
il leur faut traverser le Plateau du Croquemitaine, ainsi nommé parce
qu'un mitrailleur ennemi à l’œil acéré arrose le no man's land au
moindre mouvement, ayant déjà causé la perte de nombre de Poilus. Il
fait mouche ce soir encore, les deux soldats et leur mule ne reviennent
pas, obligeant le capitaine à leur trouver deux remplaçants. Faute de
volontaires, Palette le boulanger et Le Bourhis le cultivateur sont
désignés d'office, bientôt rejoints par un petit singe indiscipliné
retrouvé au fond des gamelles (sans doute échappé d'un régiment des
Bataillons d'Afrique). Fatalistes, les deux cuisiniers improvisés se
préparent à leur première nuit, leur première traversée du Plateau du
Croquemitaine... C'est là qu'ils font la rencontre d'un enfant, ou
presque. Un adolescent, planqué dans une maison abandonnée, qui est à
la recherche de son frère : « Joanes Bischaïchipy. Un grand
brun baraqué... Habillé en bleu, là, comme vous ! » Pas
forcément vraisemblable sans pour autant être irrecevable, leur odyssée
dans le « Boyau Bedouze » « Vous qui entrez ici, laissez
tout espérance » emporte à partir de cette rencontre une espèce
d'insouciance. Bixente est persuadé qu'il retrouvera son frère, les
autres ne veulent pas l'abandonner dans le no man's land. Le capitaine,
quant à lui, entre les formulaires bleus, les commandes de
ravitaillement et la menace d'une inspection, est tout prêt à concéder
quelques arrangements pour éviter de plus gros ennuis. Le garçon reste
donc dans les lignes arrières, en compagnie de Palette et Le Bourhis,
et surtout du singe qui l'a immédiatement adopté. Mais Le Bourhis, sous
sa montagne de muscles, cache quelque chose. Et il n'est pas le seul...
L'horreur de la guerre n'est pas escamotée (paysages dévastés, corps
mutilés, trous d'obus et rats dans les tranchées sont bien
représentés), mais elle voisine avec les situations burlesques, tels
les démêlés du capitaine avec un Clairon qui n'en fait qu'à sa tête,
sonnant le rassemblement à coups de casseroles ou annonçant le retour
de la « roulante » avec « la Paimpolaise ». Le
graphisme, rond et faussement naïf, apparente lui aussi cet album à la
bande dessinée jeunesse, sans pour autant nuire à sa crédibilité. Voilà
une série originale (qui tire son titre du surnom donné aux soldats de
la « roulante », forcés d'assurer à pied - avec leurs
godillots - le ravitaillement après la perte de la mule), qui porte un
regard accessible et original sur une période de notre histoire souvent
traitée en littérature, notamment dessinée. Pour les collégiens, mais
la série est aussi lisible en LP et au lycée.
Références :
Les Godillots, 1. Le Plateau du Croquemitaine / Olier, Marko. Bamboo, 2011. 13,50 €. 978-2-8189-0266-0.