Gentlemind, épisode 1 / Juan Diaz Canales, Teresa Valero, Antonio Lapone

C’est une femme, silhouette crâne, qui a New-York à
ses pieds. Le rêve américain au féminin ? Ce premier épisode
détaille l’ascension de Navit, jeune femme juive qui n’a pour elle
qu’un corps de rêve et une détermination sans failles. Amoureuse d’un
dessinateur sans le sou, elle va gravir tous les échelons de la société
avec ces seuls atouts : c’est son ascension que narre ce premier
volume, avec toutes les compromissions qu’elle implique, et le prix à
payer…
Prête à tout pour permettre à son dessinateur
de trouver un emploi, elle devient la maîtresse d’un magnat de la
presse qui fournit un poste de gratte-papier à l’amant pour mettre la
belle dans son lit. Puis l’amant désolé s’envole pour le front en
Europe, et Navit devient Mme Powell. Mais aussi la petite
« fiancée de l’Amérique », qui lève treize millions de bons
de guerre par une simple chanson au micro. Puis la deuxième veuve
d’Horace Powell, bénéficiaire d’un héritage en trompe l’oeil, dont il
ne lui reste qu’un journal sur le déclin : Gentlemind. Parfait
reflet du machisme de l’époque, il va devenir le miroir de la réussite
de Navit : le résultat d’un mélange d’audace, d’intuition et de
courage, pour imposer une directrice de rédaction et ses choix. Navit
doit sa bonne fortune à sa capacité à parier sur les bonnes personnes
au bon moment, sans laisser parler ses sentiments. A-t-elle aimé au
moins un peu le milliardaire qui lui a servi à mettre un pied dans la
bonne société ? Est-elle touchée par cet avocat brillant qui prend
son indépendance en prononçant pour la première fois une plaidoierie
défavorable au grand groupe que possède sa famille ? A-t-elle un
lien avec John Doe, écrivain mystère qui contribue au succès de la
nouvelle formule de Gentlemind ?
Ce qui est intéressant dans le traitement cette
succes story, c’est qu’on sent bien qu’on n’y porterait pas le même
regard s’il s’agissait du parcours d’un homme. C’est d’une femme dont
il s’agit, et les jugements de valeur sont en embuscade : a-t-elle
le droit de réussir, et surtout de réussir de cette manière ?
Peut-on aimer ce personnage avec toutes ses ambiguïtés et ses zones
d’ombre ?
Quoi qu’il en soit, le récit est très réussi, appuyé sur un dessin
qui peut dérouter, mais qui à mon avis transcrit bien l’ambiance de
cette Amérique du milieu du 20e siècle, avec des planches monochromes
pour souligner des ambiances. Voilà un album abouti tant du point de
vue du récit, des ambiances graphiques, que des réflexions qu’il sucite
sur l’histoire des Etats-Unis autant que sur la place de la femme. A
proposer aux élèves de lycée.
Références :
Gentlemind, épisode 1 / Juan Diaz Canales, Teresa Valero, Antonio Lapone. Dargaud, 2020. 18 €. 978-2205-08815-1.