L'embranchement de Mugby / Rodolphe, Estelle Meyrand
En bande
dessinée, la mode est aux adaptations d’œuvres littéraires. A croire
que nos scénaristes n’ont plus d’inspiration... Mais ne boudons pas
notre plaisir quand l’exercice est réussi. Après une adaptation du très
connu Noël de M. Scrooge, Rodolphe s’attaque à un autre conte de
Charles Dickens, avec toujours Estelle Meyrand au dessin.
Nuit brouillasseuse de l’hiver anglais. Dans un
décor fantomatique de gare de triage, un homme qui a réussi dans la vie
sort d’un train chargé de deux lourdes valises. D’abord, on croit que
Mugby est une vraie ville fantôme et que, comme ça arrive parfois chez
Dickens, on va plonger sans tarder dans l’onirisme ou le fantastique.
Il n’en n’est rien. Si les personnages que rencontre notre homme sont
peu ordinaires, ils n’en sont pas pour autant surnaturels. A la
réflexion, ils seraient même plutôt sympathiques. Le porteur de lampe
et sa fille alitée, les enfants en grappe qui lui rendent visite, la
patronne de l’auberge... tous accueillent avec générosité et
bienveillance cet homme au carrefour de sa vie.
Quant à lui, il fait le bilan d’une existence
banale : entré scribouillard chez Barbox frères, gravissant tous
les échelons jusqu’à devenir le patron, une femme, un ami, bientôt
envolés ensemble... Et quelle espérance pour demain ? C’est pour
ça qu’il est descendu à Mugby : faire le point, et choisir sa
voie. Après tout, ces lignes qui partent vers un ailleurs, pourquoi ne
pas les essayer, l’une après l’autre, pour voir si le terminus de
chacune ne serait pas un lieu où refaire sa vie ? C’est la
proposition que lui fait Phoebe, la belle alitée. Alors l’homme prend
des trains, pour tâcher de voir si la vie est au bout des lignes. Et il
revient : ici est une ville pleine de monde et de touristes, là
est triste et venteux, et les chapeaux s’envolent, ici est bien trop
snob, les gens ne s’y aiment pas, là encore, c’est Londres dont il
vient, ça n’est pas pour y retourner... A chaque voyage, il ramène ses
impressions et un souvenir pour Phoebe ou son père. A Mugby, les
enfants se mettent à l’attendre : s’il ne revenait pas, c’est
qu’il aurait trouvé un endroit pour vivre, et cette perspective a
quelque chose d’un peu triste.
Bien entendu, le voyage n’a pour but que de révéler
notre attachement à l’endroit d’où l’on part, et notre homme comprendra
bientôt que sa famille est là où des gens l’attendent. Ce joli
contre presque sans surprise est servi par les belles
illustrations d’Estelle Meyrand, qui crée une ambiance colorée,
feutrée, aux lumières mouvantes. Les ombres lumineuses de ses crayonnés
donnent le sentiment de parcourir un livre de contes pour enfants (ce
qui est d’ailleurs le propos de la nouvelle). Une douce émotion, pleine
des échos des noëls d’enfance, se dégage de cet album tout simple et
très réussi. Une belle histoire à proposer, en période de Noël, mais
pas seulement, aux lecteurs qui auraient besoin d’un peu
d’émerveillement. Dès l’école primaire, au collège (et pourquoi pas au
LP et lycée histoire de se faire du bien?)
Références :
L'embranchement de Mugby / Rodolphe, Estelle Meyrand, d'après
Charles Dickens. Delcourt, 2010. 10,50 €. 978-2-7560-1858-4.