Le dernier été de mon enfance / Shin Takahashi

Le dernier été de mon enfance
    Admirateur des Aventures de Tom Sawyer, Shin Takahashi dit avoir voulu les adapter en souvenir d'un épisode de son enfance, quand avec des amis il avait construit un radeau et embarqué pour l'aventure avec un panier-repas. Traversée vite abrégée par le naufrage du radeau, le retour sur la terre ferme et un  pique-nique sur la plage...

    Le dernier été de mon enfance se veut une adaptation de ce classique littéraire à la lumière de souvenirs d'enfance. On y retrouve la trame du roman de Mark Twain, avec des enfants témoins d'un meurtre et travaillés par des désirs d'ailleurs et d'indépendance. On y lit aussi de nombreuses références au monde du manga ou de l'animation japonais, de One Piece à la petite sorcière de Miyazaki. On y glisse aussi à travers le monde suspendu des souvenirs, un monde aux contours flous et aux lumières aveuglantes, aux sons étouffés, dans lequel surgissent, péremptoires, les coups de blues et de colère...
    Haru est une étudiante en arts plastiques qui est partie depuis plusieurs années du village pour aller travailler à Tokyo. Elle y mène une existence qu'on devine épuisante à courir après l'inspiration et les exigences de son patron. Quand l'histoire commence, elle arrive au village (dans un plan très cinématographique aux cadrages heurtés et aux points de vue fragmentés) pour assister à l'enterrement de sa mère. En son absence, des voisines se sont chargées de tout et ne manquent pas de le lui rappeler, l'accueillant avec mépris comme une fille cumulant les tares de l'ingratitude (depuis combien de temps a-t-elle abandonné sa mère ?) et de la filiation (elle est bien comme sa mère, sans boulot, sans attaches, une fille de rien...) Plutôt en décalage si ce n'est détachée, elle recueille le chat d'une voisine qu'elle pense être le sien, fait la connaissance d'un curieux garçon nommé Taro qui la prend pour une sorcière, entreprend d'enterrer, en pleine nuit et en compagnie d'un Taro enchanté, le chat qui vient de trépasser, puis est, avec le jeune garçon, témoin d'un meurtre. Le tout en se demandant continuellement ce qu'elle fait là et pourquoi elle n'est pas encore repartie pour Tokyo. Dans une existence en suspens, elle se laisse entraîner par la bande de Taro dans des aventures déraisonnables, acceptant un rendez-vous à minuit pour aller à la plage avec les garçons, embarquant son sourciller pour une traversée vers l'île (pas si déserte ?), se traitant intérieurement d'idiote pour toutes ces faiblesses. Au fil des aventures plus ou moins ordinaires de cet été particulier remontent les souvenirs, souvent douloureux, de la vie avec sa mère. Faut-il d'abord assumer ce qu'on a vécu pour pouvoir se construire un avenir ?

    Ce « one shot » (œuvre en un tome) dense et épais propose une lecture à la fois fidèle et très personnelle de l'œuvre de Mark Twain. Son héroïne a beau être agaçante, l'histoire touche par la densité de sa trame autant que par ses qualités graphiques. De nombreux assistants du studio de Shin Takahashi ont participé à la réalisation de ce manga, cela se ressent dans la diversité et la richesse du graphisme, qui ménage de belles rêveries. Et même s'il se présente comme un shôjo, il s'adresse autant aux garçons qu'aux filles, mêlant introspection et action, sentimentalisme et humour. Une belle lecture dès le collège et bien après, à faire voisiner avec l'œuvre qui l'a inspirée pour attirer les curieux qui n'auraient pas encore lu Tom Sawyer...



Références :
Le dernier été de mon enfance / Shin Takahashi. Delcourt, 2010. 14,99 €. 978-2-7560-1849-2.