Dans la forêt, d’après le roman de Jean Hegland / Lomig


Couverture de l'album
    En ces temps incertains, une lecture récente résonne particulièrement. Nombreuses sont les  œuvres littéraires qui s’inspirent des thèses collapsologues, celle-ci est l’adaptation d’un roman que Jean Hegland a écrit en 1996. Il raconte l’histoire de deux sœurs, Nell et Eva, qui grandissent au coeur de la forêt, loin de San Francisco. Si tout va bien, Nell entrera à Harvard, et Eva, qui a obtenu de sa mère le droit de danser, intégrera le San Francisco Ballet. Mais tout ne va pas bien (sinon il n’y aurait pas d’histoire…) Depuis quelques temps, il y a des coupures d’électricité. De plus en plus fréquentes, de plus en plus longues. C’est insupportable pour Eva, qui a besoin de musique pour pouvoir d’entraîner. Une somme de multiples raisons est en train d’avoir raison de la société contemporaine : des combats à l’autre bout du monde, la montée du terrorisme, l’effondrement du marché des devises étrangères, un séisme provoquant la fusion d’un réacteur nucléaire et une montée violente du Mississippi, le déficit du gouvernement, la crise du pétrole, un taux de chômage effroyable, un système d’aide sociale incapable de soulager les habitants des quartiers déshérités… la coup est pleine. Depuis six mois, l’électricité est coupée, les banques, les écoles, les bars et les bibliothèques sont fermés. Nell et Eva vivent seules dans leur grande maison au milieu des forêts : leur mère est morte de maladie un peu avant la catastrophe, et leur père s’est tué en se sectionnant une artère à la tronçonneuse alors qu’il était parti faire des réserves de bois. Pour tenir, Nell tient son journal : c’est le récit qui se déroule sous nos yeux, et Eva danse dans le silence, au rythme du métronome.  Mais les provisions s’épuisent, les rêves s’étiolent (un bref amour passé par la maison dans les premières semaines est reparti vers le sud sans parvenir à convaincre Nell d’abandonner sa sœur pour le suivre), et les raisons de vivre s’amenuisent…
    Ainsi coupées du monde, les sœurs vont pouvoir renouer avec la Nature :
« Je sentais quelque chose d’autre… partout autour… une chose que je n’avais encore jamais remarquée. Une force douce et paisible qui m’enveloppait toute entière. C’était comme si la forêt m’enlaçait telle une mère avec son enfant. Je me laissai aller… sans résistance, aucune, et le coeur infiniment calme. Je n’étais plus ni seule ni angoissée ni vulnérable… Ma peur m’avait complètement quittée. J’étais en paix ».
    Nell commence par cultiver le jardin, faire des conserves, rechercher dans la maison tout ce qui est durable. Puis elle découvre un livre de sa mère sur les plantes sauvages, et toutes les richesses qui sont à portée de sa main. Entraînant Eva avec elle malgré le sort qui s’est acharné sur sa sœur, elle les prépare doucement à quitter leur vie d’avant et leur maison qui tombe en ruine, pour s’enfoncer plus profondément dans la forêt.

    Cet album en noir, blanc et gris veloutés restitue la puissance d’une histoire écrite il y a plus de vingt ans et qui semble nous rattraper. Lorsque tout espoir est perdu, une vie reste possible si l’humain accepte d’écouter la Nature. C’est une conclusion qui peut laisser perplexe à l’heure actuelle, mais la force visuelle de cet album la sert parfaitement : une haute futaie laissant passer la lumière, un bosquet de mûres ou de fleurs d’églantiers… Attention toutefois, cette lecture est à réserver aux lycéens, pas seulement en raison de son thème, mais aussi pour quelques planches explicitement sensuelles.


Références :
Dans la forêt, d’après le roman de Jean Hegland / Lomig. Sarbacane, 2019. 24,50 €. 978-2-37731-198-9.