Le Chant du Cygne / Cédric Babouche, Xavier Dorison, Emmanuel Herzet

Cet épais
recueil en deux chapitres s’intéresse à un fait de la Première Guerre
mondiale peu traité en bande dessinée : les mutineries de 1917. Il
imagine une section épuisée par les offensives meurtières et totalement
vaines, qui de retour d’une attaque cauchemardesque, après avoir
enterré ses morts, rencontre un soldat qui lui remet une liasse de
feuilles : la pétition de la cote 108. Une des nombreuses
offensives sur ce point du Chemin des Dames ayant été menée malgré la
découverte des plans d’attaque par l’ennemi et en toute connaissance de
cause, les soldats ont lancé sous le manteau une pétition déjà signée
par 3000 soldats. L’idée est que ces signatures soient portées à
l’Assemblée nationale pour que la France entière prenne conscience des
choix absurdes faits par l’Etat-major, et que le Général Nivelle soit
désavoué… Il va sans dire que les gradés ont tout intérêt à ce que ce
mouvement soit tué dans l’oeuf. Le colonel d’Anjou, mis au parfum,
s’empresse de débarquer pour faire du chantage à la compagnie. Il
menace ainsi de renvoyer les soldats sur le pire point du front si la
pétition ne lui est pas remise, et promet trois semaines de permission
si on la lui donne. Trois semaines de permission, pour des hommes
épuisés et qui ne voient plus aucun sens à leur combat, c’est un rêve
inaccessible… Alors la pétition est livrée, après un débat houleux.
Mais la parole des gradés, à ce moment de la Grande Guerre, n’engage
que ceux qui la croient. Après quelques kilomètres dans les camions qui
sont censés les emmener en permission, les soldats comprennent qu’ils
sont purement et simplement renvoyés au front, vers le Chaudron, l’un
des terrains les plus meurtiers.
C’est là que tout bascule, et que Pat (le sergent
Sabiane), la Tiffe, Larzac, La Science, mais aussi le lieutenant
Katzinski, font le seul choix qui leur paraît possible : monter
cette pétition à Paris, rejoindre leur contact pour qu’elle soit enfin
portée à l’Assemblée nationale. On sait quelle place l’Armée a réservée
aux mutins, et cette tentative n’échappera pas à la règle absurde de la
grande boucherie. Mais des hommes ont choisi de rester dignes dans
cette immense absurdité, et cette dignité mérite un peu de mémoire.
Même si l’histoire, inspirée d’un fait réel, est romancée, elle fait
écho aux nombreuses lectures, aux nombreux films qui ont évoqué cette
période. Le dessin, singulier, fait un écho particulier à la violence
et à la crudité des combats et de la vie au front. Beaucoup de couleurs
terre ou sang ; des visages déformés par toutes sortes de grimaces
(un peu d’influence manga d’ailleurs par endroits). Il s’agit d’une
œuvre forte sur un thème peu traité en bande dessinée à propos de cette
guerre, à recommander pour les meilleurs lecteurs en 4e et 3e, et pour
les lycées.
Références :
Le Chant du Cygne, 1. Déjà morts demain / Cédric Babouche, Xavier
Dorison, Emmanuel Herzet. Le Lombard, 2018. 14,99 €. 978-2-8036-7374-2.