Le Cid en 4eB / Véropée


Couverture de l'album
    Voilà une BD qui parlera surtout aux profs, plus qu'à vos élèves... mais c'est une raison suffisante pour l'acheter ! « Le Cid en 4eB », contrairement à ce qu'on pourrait attendre, ne raconte pas un projet théâtral au long cours avec une Chimène de 14 ans et toute une classe emportée dans la fébrilité des répétitions pour un final en apothéose avec professeur épuisé et parents ravis. Quoi que, il existe bien dans l'histoire une professeure épuisée quand même. C'est elle qui assure le fil rouge de l'album, ou plutôt ce sont ses cours : la narration est faite uniquement des interventions de l'enseignante dans sa classe, et les cases sont emplies de ses élèves, leurs réponses, leurs réactions, mais aussi leurs postures d'élèves en classe. Avec juste une incursion des personnages de la pièce, en noir et blanc, lorsque la professeure lit les extraits de la pièce à voix haute, ou projette des extraits de captations de la pièce.

    Avec ce dispositif « scénique » tout simple, on entre dans la fabrique de la classe, et c'est absolument savoureux, surtout quand on connaît un peu les établissements de l'intérieur ! Au fil des séances, l'enseignante explique ce qu'est une tragédie, présente les personnages en lisant les premiers vers, propose une recherche sur le vocabulaire des émotions en groupe, fait écrire un monologue à la manière de celui de Don Diègue, pose une interro, aborde au passage l'impératif (qu'emploie Don Diègue pour s'adresser à son fils), fait écrire les quatre premiers vers de Rodrigue après que son père lui a demandé d'aller se battre pour lui, évoque l'érotisation de la scène de Chimène et Rodrigue après qu'il a tué son père, projette une captation de la scène et demande aux élèves leur avis sur la mise en scène, enfin demande leur demande de réécrire la fin dans un contexte contemporain. Au-delà de cette forme inédite de mutualisation d'expérience pédagogique, l'album vaut surtout par le reflet fidèle qu'il renvoie des interactions entre élèves et professeure et des élèves entre eux. Tout est absolument réaliste et simplement rendu, on s'y croirait vraiment ! Et clin d’œil final, un lexique en fin d'ouvrage explique les termes du langage familier employé par les élèves (des très connus « avoir le seum » et « askip » au plus confidentiel « une disquette » - qui signifie une excuse, un prétexte...) La galerie des ados est vivante et vraie, ce qui rend l'album drôle de bout en bout, de la sortie à l'infirmerie au refus d'ôter son blouson ou de poser son sac, de la classe qui se redresse comme un seul homme à la sonnerie à celui qui immanquablement demande si on écrit sur une feuille... on s'y croirait ! Bien entendu, ils sont comme dans la vie, pénibles mais plutôt sympathiques, et au bout du compte même si Corneille est tellement loin d'eux finalement ils sont eux aussi traversés par les émotions universelles dont il parle « ça s'peut pas qu'toublies qu'ton mec, il a tué ton daron ! »
Un biais savoureux pour aborder le théâtre classique en classe ? En tous cas un album à proposer au collège et LP, et pourquoi pas au lycée.

Références :
Le Cid en 4eB / Véropée. La Boîte à Bulles, 2019. 14 €. 978-2-84953-339-0.