Le Choeur des femmes : adaptation du roman de Martin Winckler / Aude Mermilliod


Couverture de l'album
   L'adaptation du roman de Martin Winckler s'ouvre sur une page toute simple montrant deux mains nues, ouvertes au milieu d'un fond blanc. Ces quelques traits fragiles et puissants, écho de la belle couverture, disent qu'on entre dans une œuvre réinventée, ce que l'auteur du roman salue en soulignant que son propre livre a été contruit sur la trame d'un film d'Akira Kurosawa qui avait lui-même d'autres inspirations. Reste, au-delà du passage de relais, une histoire forte à mettre entre toutes les mains, par le biais de la bande dessinée ou du roman.

    Jean Atwood, jeune interne décidée qui veut devenir chirurgienne, commence un stage en gynécologie auprès du Docteur Karma, surnommé Barbe Bleue « à cause de ses humeurs et de sa barbe mal taillée ». A celle qui arrive emplie de ses préjugés et de son impatience (« voilà qu'on m'envoyait écouter des bonnes femmes se plaindre à propos de leur pilule, de leurs seins douloureux ou de je ne sais quelle connerie »), il propose un marché : une semaine de cohabitation (à condition qu'elle fasse preuve d'un minimum d'humanité envers les patientes), au cours de laquelle elle prend des notes et peut lui faire toutes remarques qu'elle veut. Au bout de cette semaine, soit elle pense que leurs différences sont irréconciliables et il la laisse partir en validant son semestre, soit elle décide de lui faire confiance et poursuit son stage. Jean accepte le marché, et se met bon gré mal gré à l'écoute du choeur des femmes... celle qui a du subir un avortement à 14 ans parce que son oncle abusait d'elle et que le médecin qu'elle a consulté alors n'a pas su le comprendre. Celle qui va mourir très bientôt mais qui refuse que sa mort empêche ceux qu'elle aime de vivre. Celle à qui on represcrit juste après une IVG la même pilule qu'on lui a déjà donnée et qui n'a pas empêché la grossesse. Celle qui n'a plus l'âge mais qui est tombée amoureuse d'un jeune homme et qui voudrait qu'on lui retire son stérilet... Autant d'histoires qu'on n'apprend pas à écouter sur les bancs de l'école de médecine, mais qui témoignent de la vérité des femmes qui passent la porte du cabinet. Semaine après semaine, Jean va accepter de les écouter, et de changer progressivement son regard : une femme qui consulte en gynécologie n'a pas nécessairement besoin d'un examen gynécologique, celui-ci peut se pratiquer dans une autre position que la position classique entre les étriers, pour plus de confort de la patiente (surtout si elle a vécu des violences sexuelles), il n'est pas nécessaire d'utiliser une pince pour retirer un stérilet (son maniement est inutilement douloureux pour la patiente), pas plus qu'il n'est nécessaire de changer un stérilet tous les deux ans (aux Etats-Unis, les DIU sont agréés pour douze ans...). Elle va accepter la vision du Dr Karma :
« Ce qu'une femme ressent est beaucoup plus important que ce que vous savez... Chaque fois que vous interrompez une patiente, vous l'empêchez de dire l'essentiel pour elle, et vous la faites douter. (…) Notre boulot, c'est pas d'être dans le vrai ou le faux, c'est de voir ce que ça signifie. (…) C'est pour éviter le bras de fer « j'ai raison / tu as tort ». Une relation de soin, ce n'est pas un rapport de force. »

    L'album transmet de nombreuses informations précieuses sur le respect du corps des femmes, notamment sur les questions d'intersexuation (deux pages documentaires complètent l'ouvrage). C'est une fiction documentée précieuse à mettre entre les mains de toutes les filles et de tous les garçons en construction. Elle peut être un peu difficile d'accès en collège (penser aussi à l'accompagnement nécessaire des plus jeunes élèves qui peuvent ouvrir le livre), mais peut être proposée aux bons lecteurs, et sera précieuse au LP et au lycée.




Références :
Le Choeur des femmes : adaptation du roman de Martin Winckler / Aude Mermilliod. Le Lombard, 2021. 978-2-8036-7713-9. 22,50 €.