Le Café des colonies / Sébastien Morice, Didier Quella-Guyot
On
se souvient des tristes zoos humains de l'Exposition Coloniale, quand
l'homme noir était exhibé aux foules curieuses et vaguement inquiètes,
tandis que les scientifiques débattaient encore de son humanité. Guy de
Maupassant, dans sa nouvelle adaptée par Didier Quella-Guyot, rend bien
compte du racisme effrayant de l'époque, fait d'ignorance et de peur.
Son héros, Antoine Boitelle, est un homme fait d'un bloc, pas plus bête
qu'un autre, simplement peu instruit. Soldat au Havre pendant son
service militaire, il fréquente assidûment les quais, pour le plaisir
d'admirer les oiseaux chamarrés, aras, perruches, perroquets qui le
fascinent. C'est au cours d'une de ces flâneries sur les quais qu'il
découvre la belle serveuse du Café des colonies. Norène, dans la beauté
éclatante de sa jeunesse, a un sourire éblouissant, ligne blanche sur
la peau sombre de son visage. Norène est noire, et seuls les hasards de
la vie expliquent que, dans cette France encore fermée du 19e siècle,
sa route ait pu croiser celle d'Antoine. Elle ne sait pas d'où elle
vient, son histoire a commencé dans la cale d'un navire en partance
pour le Havre. Sans doute arrivée à New-York par le même bateau avec
ses parents, la petite fille fut confiée par le capitaine, qui ne
savait qu'en faire, à une marchande de poissons du Havre. Ni meilleure
ni pire qu'une autre, la femme éleva Norène jusqu'à sa mort. La jeune
fille se fit alors embaucher au Café des colonies, persuadant le patron
hésitant par son enthousiasme, sa vitalité et son sourire éclatant :
une négresse au Café des colonies, voilà qui va bien ! A la curiosité,
au dégoût et à l'incompréhension, Norène oppose avec constance sa bonne
humeur. Il lui en faut une bonne dose, dans cette France coloniale où
l'étranger est considéré au mieux comme une bête curieuse, exposé aux
masses dans une cage, au pire comme l'incarnation du démon (cette peau
noire, on dirait Satan !) Ce n'est pas ça qui rebute Antoine, pourtant
pas plus instruit que les autres, mais profondément amoureux. Après
quelques sorties dominicales au bras de sa belle, et malgré les
commentaires acides de ses camarades de chambrée, il décide de la
demander en mariage. Le plus ardu reste à faire : convaincre père et
mère d'accepter une telle union. Car Antoine est un fils obéissant, qui
n'envisage pas d'aller contre la volonté parentale, et s'organise en
conséquence pour faire agréer sa belle. Les parents y mettent du leur,
aidés par le naturel désarmant et l'enthousiasme généreux de Norène,
qui met spontanément la main à la pâte et s'intéresse sans hypocrisie à
sa future famille. Mais le village, curieux et hostile, n'aide pas les
vieux paysans à s'ouvrir à l'inconnu. Désolée, la mère finit par
conclure :
« C'est une brave fille, tout de même ! C'est dommage qu'elle soit
si noire... Mais vrai, elle l'est trop ! J'pourrai pas m'y faire. »
C'est finalement le seul reproche qu'ils lui feront, mais indépassable. Elle est trop noire.
Le dessin, d'une lecture facile, en ombres et
lumières et aux tons sepia, rend vivante cette chronique d'un temps qui
semble si emprunt d'ignorance. Mais, comme le disait Philippe Meyer
dans une de ses chroniques radiophoniques, si les aveuglements du passé
nous semblent si criants aujourd'hui, quels sont nos propres préjugés,
qui paraîtront incroyables à nos descendants ? Cette adaptation de
Maupassant, efficace et bien menée, est à proposer en collège, au LP et
au lycée.
Références :
Le Café des colonies / Sébastien Morice, Didier Quella-Guyot, d'après
Guy de Maupassant. Petit à Petit, 2010. 12 €. 978-2-84949-170-6.