La Chose perdue / Shaun Tan



Couverture de l'album    On a tous nos auteurs favoris. Depuis le magnifique Là où vont nos pères, pour moi, Shaun Tan est des grands raconteurs d'histoires illustrées contemporains, et il le prouve avec ce nouvel album animé. La Chose perdue, album grand format, est en effet accompagné d'un DVD qui renferme, outre un certain nombre de bonus (commentaires des auteurs sur les scènes réalisées ou coupées, croquis et étapes de la réalisation du court-métrage, interview de Shaun Tan), un court-métrage qui reprend exactement l'histoire racontée dans le livre. A ceci près qu'elle apporte précisément l'animation, qui donne une vie et un relief tout particuliers à cette histoire. Les deux œuvres (album et film d'animation) se répondent avec bonheur. Ajoutez à cela que le film est en anglais (langue originale de publication des œuvres de Shaun Tan), avec un sous-titrage possible en français, et vous avez un DVD qui en plus peut intéresser les professeurs de langue.

    Pour ce qui est de l'histoire, elle nous fait comme les autres fois entrer dans l'univers singulier de l'auteur. Singularité graphique d'abord, reconnaissable entre toutes, avec ses villes immenses truffées de signes porteurs de plus ou moins de sens, ses créatures étonnantes et ses lumières chaleureuses, ses angles arrondis par des couleurs douces. Singularité de l'univers ensuite, familier et étranger à la fois. Singularité de l'histoire enfin :
« C'était un été, il y a longtemps, un jour comme les autres, sur la plage. Je travaillais comme d'habitude à ma collection de capsules de bouteille quand je me suis arrêté et j'ai levé la tête, sans raison particulière. C'est alors que j'ai vu la chose. »
Cette chose, qui ressemble vaguement à une énorme théière rouge munie tentacules et de deux grosses pinces de crabe terminées par des clochettes, plantée là sur la plage, pas à sa place, semble attendre. Alors le collectionneur joue avec elle, tout l'après-midi. Puis, voyant que personne ne vient la chercher et qu'aucun adulte interrogé ne peut lui fournir de renseignement valable à son sujet, il se décide à l'emmener chez lui. Ses parents n'apprécient pas. Après l'avoir hébergée une nuit, il prend le parti de l'amener au Bureau Fédéral du Bric-à-Brac. Mais un balayeur des rues hors du commun le persuade de n'en rien faire, car ici, « on oublie, on abandonne, on efface »... Il y a peut-être un autre endroit pour les choses perdues, finalement.
    Cette histoire sensible autour de la différence, de l'uniformité sociale, de l'accueil de l'autre, de la liberté individuelle peut se lire et se relire, car les dessins comme l'histoire sont profond de plusieurs couches, qu'il faut prendre le temps de sonder. Le fond de page, composé d'un collage de morceaux de vieux journaux « de là-bas » à lui aussi son intérêt. Quant au court-métrage, il donne encore de la profondeur à cette lecture qui emporte. Des pages (ou des plans) de pure merveille sont à savourer au coin d'une péripétie de l'histoire. Ainsi l'échappée sur Utopia (là où les choses perdues sont bien), autant dans l'album, sur une double page, que dans le film sur plusieurs plans, est un régal visuel, avec des couleurs tendres et un imaginaire ébouriffant.

    On retrouve certains des passages et certaines des créatures de ce livre dans un recueil de dessins publié chez le même éditeur : L'oiseau roi, et autres dessins. Le propos de ce livre est de rassembler des croquis, esquisses et dessins préparatoires aux œuvres éditées de l'auteur, mais aussi des extraits de carnets ou des œuvres non abouties. Ces dessins sont accompagnés de quelques explications de l'auteur, qui résument très bien ce que renferme souvent son œuvre : « un dessin m'a l'air réussi lorsqu'il est à la fois clair et ambigu ». Il y a d'ailleurs un intérêt tout particulier à montrer ce livre aux professeurs d'anglais, les dessins étant en effet accompagnés de leur titre ou de leur commentaire original, qui ajoute à son ambiguïté (ou plutôt à sa profondeur). Parmi mes préférés (dont la reproduction pourrait figurer dans nos coins lecture !), « La lecture », qui est un pur bonheur fantasmagorique, mais aussi « Portrait de l'artiste jeune homme », menant du bout de son pinceau un heureux groupe de créatures extraordinaires (un œuf dans un coquetier à pattes, un pigeon à béret dans un scaphandre tenant dans ses bras un chat qui dort...) L'art du dessinateur, mais aussi du coloriste se donne ici à voir, comme un complément enrichissant des œuvres formidables de Shaun Tan. Dès l'école primaire, jusqu'à très tard dans la vie !





Références :
La Chose perdue / Shaun Tan. Gallimard jeunesse, 2012. 22,50 €. 978-2-07-063474-3.
(L'oiseau roi, et autres dessins / Shaun Tan. Gallimard jeunesse, 2012. 18 €. 978-2-07-064031-7.)