Crimes de papier : retour sur l'affaire Papon / Johanna Sebrien, Jean-Baptiste B
La
condamnation de Maurice Papon, en 1998, à dix ans de réclusion
criminelle pour complicité de crimes contre l'humanité, malgré sa
libération trois ans plus tard pour raisons de santé, vient clore une
longue histoire qui démarre en 1942 à Bordeaux. L'histoire de la
participation des fonctionnaires français du régime de Vichy à la
déportation des Juifs est entremêlée dans ce roman graphique aux
parcours de deux couples, alors tout jeunes. Arthur est Juif, et
amoureux d'Isabelle qu'il fréquente plus ou moins en cachette car les
temps sont déjà dangereux pour les Juifs. Sa sœur Léna est arrêtée au
petit matin par des gendarmes français sous les ordre du Secrétaire
général de la Préfecture de la Gironde, Maurice Papon, et conduite au
Fort du Hâ avec son père. Leur mère n'aura pas leur chance, car elle
est en fauteuil roulant : les gendarmes ont une solution plus
expéditive pour ne pas s'encombrer d'une grabataire... Réfugié sur le
toit, Arthur trouve le soutien de Jean, amoureux de sa sœur, qui la
fait évader du camp de Pichey-Mérignac avant de la cacher. Son amour à
lui sera empêché, car les parents d'Isabelle ont découvert sa grossesse
et ne veulent pas entendre parler d'un petit-fils Juif...
Arthur, Léna, Jean et Isabelle, chacun de leur côté, traversent la
guerre à leur manière. Lorsque, en 1947, Léna reconnaît à une terrasse
de café les deux gendarmes qui l'ont arrêtée en 1942, Arthur décide de
porter plainte. Le Tribunal de grande instance statue par un non-lieu,
faisant la distinction entre ceux qui ont donné des ordres et ceux qui
les ont appliqués. C'est sur cette distinction que se repose Eichman,
dont le procès, à Jérusalem, en 1961, fait partie des archives
utilisées par Johanna Sebrien pour bâtir son récit. C'est aussi sur
cette distinction que jouera Maurice Papon, quand la justice l'aura
rattrapé. Après sa nomination comme Préfet de Constantine, puis Préfet
de Paris (en 1961, au moment des manifestations pour la paix en
Algérie, de sinistre mémoire), puis ministre du Budget. Après
l'ouverture des archives, si longtemps empêchée, après les révélations
du Canard enchaîné et les dépôts de plainte, après l'annulation de la
procédure pour vice de forme... Mais les temps ont changé, un président
de la République (Jacques Chirac) a reconnu la responsabilité de la
France dans la déportation des Juifs français et étrangers. Malgré les
efforts de la défense pour retarder la procédure, Maurice Papon est
entendu. Il se présente, sinon comme un défenseur des Juifs, au moins
comme un simple rouage de l'administration ayant fait ce qui était en
son pouvoir pour sauver le maximum de personnes. Arthur est dans la
salle, attendant que la justice reconnaisse la culpabilité de l'homme
qui a ordonné l'arrestation de son père...
Cette période, étudiée dans les collèges et les lycées, est assez bien
connue des élèves. Mais la complexité des parcours de chaque
personnage, homme de pouvoir ou simple citoyen, peut être difficile à
appréhender pour un adolescent des années 2010. Crimes de papier
permet d'entrer dans cette complexité, incarnant dans des parcours de
vie les événements historiques, et mettant en lumière les éléments
saillants : ce qu'on savait de la Solution finale pendant la
guerre en France, par exemple, ou la position des autorités françaises
face à l'Occupant quant à la question juive, tout cela est expliqué de
façon claire, permettant au lecteur de préciser au fil des pages sa
compréhension du contexte. « Il
n'y a pas lieu d'ériger un culte de la mémoire pour la mémoire.
Sacraliser la mémoire est une autre manière de la rendre stérile. Une
fois le passé rétabli, on doit s'interroger : de quelle manière
s'en servira-t-on, et dans quel but ? » Ces mots de Tzvetan
Todorov, placés en exergue de l'album, rendent bien compte du projet
poursuivi par Johanna Sebrien : donner à comprendre finement
l'histoire pour devenir un acteur éclairé dans le monde d'aujourd'hui.
Ce qui est une des missions des professeurs que nous sommes... Pour les
3e et pour les lycéens (LP et lycée).
Références :
Crimes
de papier : retour sur l'affaire Papon / Johanna Sebrien,
Jean-Baptiste B. Actes Sud, 2012. (l'An 2). 19,50 €. 978-2-330-00993-9.