Clair-obscur dans la vallée de la Lune / Fanny Montgermont, Didier Alcante



    Octobre 1998. Joan Johansson, touriste aux yeux clairs et au regard franc, débarque au Chili. José Suarez l'accueille à l'aéroport et la conduit jusqu'à San Pedro. Le jeune homme, guide sur les hauts plateaux chiliens, a préparé le séjour de la belle américaine. Leurs premiers moments ensemble, dans la voiture qui traverse la nuit, sont à l'image de leur histoire : pleins de silence, bercés d'une mélancolie où la vie pulse quand même, malgré tout.
    C'est sans doute volontairement que les auteurs brouillent les pistes et qu'on peine un peu au début à comprendre qui est le narrateur, avant de réaliser qu'il s'agit d'une narration à plusieurs voix. Joan comme José poursuivent quelque chose, on ne sait pas quoi, mais tous deux sont entravés par leur passé. Quelques personnages gravitent autour d'eux : Ana-Lucia, qui fait le meilleur « Pisco sour » de tout le Chili, Luis, qui est amoureux d'elle, Pär, un suédois entreprenant qui fait des avances à Joan... Et au bout du fil, un homme aux tempes blanchies qui prend ses ordres de José. Au fur et à mesure de l'album, tandis que Joan découvre les paysages sidérants des hauts-plateaux, nous remontons de flash-back en flash-back dans l'histoire de José, chaque séquence empreinte d'une violence croissante. En contrepoint, la splendeur immobile d'un lac salé, la lagune de Miscanti et ses flamands roses, un coucher de soleil sur les rochers désolés, les vapeurs matinales des sources brûlantes, paysages magnifiques et magnifiés par le dessin de Fanny Montgermont et par une mise en couleurs à la fois riche et retenue. Chaque paysage se déploie pleine-page, voire sur une double-page. C'est un peu, par là, à un voyage que nous invitent nous aussi les auteurs.
    Le contraste, recherché, fonctionne évidemment assez bien avec le cœur de l'histoire, deuil d'un côté, violences de l'autre. José fut en effet en son temps torturé dans les geôles de Pinochet. Les traces de la dictature se lisent sur les corps (sur le torse de José, sur les bras du peintre que visitent José et Joan), mais aussi dans les esprits. Malgré le temps passé, les blessures sont vivaces, et chaque Chilien semble en porter la trace dans son histoire personnelle. La question qui se pose à José comme à Joan est simple, c'est celle du choix entre le passé et l'avenir, entre le souvenir et la vie.

    Ce bel album, direct comme l'est le regard franc de son héroïne, vaut pour la beauté de ses planches autant que par son sujet, susceptible d'intéresser les professeurs d'espagnol pour amorcer une réflexion sur l'histoire du Chili. Sa qualité romanesque le désigne également comme un titre intéressant pour les CDI de lycée et de LP (voire pour les meilleurs lecteurs en fin de collège).


Références :
Clair-obscur dans la vallée de la Lune / Fanny Montgermont, Didier Alcante. Dupuis, 2012. (Aire Libre). 978-2-8001-4916-5. 15,50 €.