Chroniques de Jérusalem / Guy Delisle


Chroniques de Jérusalem
    Après ses fameuses Chroniques birmanes, Guy Delisle poursuit dans ce nouvel opus qui lui a valu cette année le Fauve d'or du meilleur album à Angoulême son exploration du quotidien des « expats » dans des zones sensibles de la planète. On le voit un peu moins avec sa poussette, ses enfants ont un peu grandi, mais il reste le père au foyer qui suit sa compagne travaillant pour Médecins Sans Frontières. L'album épouse la vie quotidienne de son narrateur tout au long de l'année que dure la mission de Nadège en Israël. La famille s'installe à Beit Hanina, quartier arabe de Jérusalem-est entouré de colonies juives. Dans les premiers temps, le père de famille consacre une énergie certaine à la recherche d'aires de jeu pour enfants, et découvre au fil de ses sorties la réalité de cette partie de la ville : trottoirs inexistants, routes défoncées, poubelles qui débordent... Mais Guy n'est pas qu'un diariste centré sur son propre quotidien, il profite de cette année dans ces territoires incompréhensibles pour tâcher d'en savoir plus sur ce qui se passe autour de lui. Entre une visite au zoo et un week-end à la plage entre pères au foyer, quand les enfants sont à l'école ou à la garderie, il balade ses carnets de croquis pour tâcher d'en savoir plus : Hébron, où les Palestiniens vivent sous un grillage qui les protège des projectiles jetés par les colons sur les passants. Mea Shearim, quartier Juif ultra-orthodoxe visité à la remorque d'un groupe de femmes parce qu'il est le seul homme et que les sexes ne sont pas censés se mélanger dans ces rues-là (pas même se parler ni se regarder). Les camps de Bédouins dont les enfants font deux heures de marche dans le désert pour aller à l'école. Le village des Samaritains, Juifs qui n'ont jamais quitté Israël et ont des papiers d'identité Juifs, Palestiniens et Jordaniens... La tournée des colonies, en deux visites successives et opposées, l'une assurée par l'association « Breaking the silence » d'anciens soldats israéliens désireux de faire connaître la situation dans les territoires occupés, l'autre par des colons... Les lieux saints, quand il parvient à les visiter, nourrissent également sa réflexion sur le pays. Quant au mur, qu'il n'approche qu'au bout de quelque temps, il constitue une source d'inspiration inépuisable, lui valant de réguliers rappels à l'ordre, nombreux étant ceux qui ne souhaitent pas qu'on stationne, a fortiori encore moins qu'on fasse des images, au pied de cette frontière matérialisée. Parmi les graffitis relevés sur ce mur, celui-ci est particulièrement savoureux : « CTRL+ALT+SUPPR ». Au cours de son séjour, l'auteur de bandes dessinées sera, en dehors des visites qu'il décide de faire, le témoin plus ou moins direct des blocages de check-points, de l'opération « Plomb durci », mais aussi des opération d'occupation de maisons palestiniennes par des colons...
    Situation mouvante, inextricable, régulièrement incompréhensible, qu'il reflète avec son humour, plus nécessaire peut-être encore ici qu'ailleurs. Réflexions à part soit quant aux situations qu'il découvre (comme cette fête aperçue du haut de sa fenêtre, uniquement composée d'hommes et interrompue par l'appel à la prière : « Quelle curieuse soirée. Pas une seule fille. Un vrai festival de bandes dessinées. ») Remarques rapportées, comme ces quelques mots échangés avec un vendeur de kebbab de Jérusalem-est : « Ma compagne, elle, travaille pour Médecins Sans Frontières. »... silence... « Il y a toujours des frontières. »

    Le trait n'a pas changé, toujours dépouillé, rond et précis, dans un mélange particulier de gravité des thèmes abordés et de légèreté du personnage croqué avec humour. Ce roman graphique est une mine documentaire sur la situation israélo-palestinienne récente, mais aussi la chronique savoureuse d'un quotidien distancié. Peut-être un peu touffu pour des collégiens, il sera sans aucun doute d'un grand intérêt en lycée et en LP.


Références :
Chroniques de Jérusalem / Guy Delisle. Delcourt, 2011. (Shampooing). 978-2-7560-2569-8. 25,50 €.