Ces jours qui disparaissent / Thimothé Le Boucher


Couverture de l'album
    Lubin est un jeune acrobate d’une vingtaine d’années dont la troupe est en train de percer. La vie ne va pas toujours de soi, il lui faut bosser dans un supermarché pour joindre les deux bouts, jongler avec une famille adoptive dont il ne reste que la mère et Héloïse, sa sœur-cousine (puisqu’il a été adopté par son oncle, décédé depuis). Mais Lubin aime cette vie, avec ses accrocs, son bazar et ses amis fidèles de la troupe, Alexandra, Pedro, et surtout Léandre.
    Quelque chose vient pourtant, qui va tout remettre en cause. En se réveillant un matin, Lubin découvre qu’il a perdu une journée, comme s’il avait dormi 24 h de plus… D’ailleurs son patron l’a remarqué aussi, bien que Lubin ait du mal à y croire. Lorsque ça se reproduit une deuxième fois, il se fait virer de son boulot. La fois suivante, les amis de la troupe ont promis de passer le chercher pour être sûrs qu’il parte bien avec eux pour le spectacle qu’ils doivent assurer. Quand il se réveille, un jour de plus est passé, et ils ne sont pas venus. Mais surtout, il a les cheveux courts, alors qu’il les portait longs depuis l’adolescence… Avec l’aide de Gabrielle, son amoureuse, et de ses amis, Lubin découvre que pendant les jours qui manquent, il est là, mais sous une autre personnalité. Un dédoublement qui ne laisse aucun souvenir au jeune homme, mais son autre moi vit bien sa vie dans les intervalles… quoique de façon fort différente : il range, fait le ménage, cherche un boulot dans l’informatique, se met à gagner beaucoup d’argent, sort avec une rousse. Lubin consulte une psychiatre spécialiste des troubles de la personnalité, qui lui conseille d’essayer d’établir un lien avec son double, afin de fusionner ses deux états. Il essaye de bonne foi, en communiquant par vidéo avec son autre moi, mais celui-ci est tellement différent de lui que c’est un pari perdu…

    Jusqu’au moment où les jours perdus, jusque là réguliers (un jour sur deux), se mettent à augmenter, à doubler à chaque fois, pour être précis… Les années passent, et Lubin est réduit à n’exister (et à profiter de ceux qui l’aiment) que tous les mois, tous les ans, puis tous les dix ans… Comme si son double avait décidé de l’éliminer purement et simplement de sa vie. Comment accepter de s’endormir quand on sait que les êtres chers vont devoir poursuivre leur vie pendant des années sans vous ?

    Ce récit magistral instille le doute dès le départ, et soulève des questions essentielles : identité, rapport entre corps et esprit, rapport aux autres, résistance de l’attachement face au temps qui passe… Le dessin est au moins aussi maîtrisé que le scenario, et ce dès les premières planches : d’où vient que le visage de l’acrobate déguisé en fille nous apparaisse immédiatement comme celui d’un garçon, alors qu’on n’a pas encore fait sa connaissance ? Le vieillissement des personnages est lui aussi parfaitement maîtrisé du point de vue graphique, rendant plus poignante encore cette perte de soi. A moins que les progrès de la réalité virtuelle – ou la force des sentiments ? - réussisse le prodige d’abolir enfin les barrières de toute une vie… Un récit fantastique essentiel, qui a reçu le Prix des libraires BD en 2018, à proposer en lycée et LP.


Références :
Ces jours qui disparaissent / Thimothé Le Boucher. Glénat, 2017. (1000Feuilles). 22,50 €. 978-2-344-01332-8.