Carbone & Silicium / Mathieu Bablet
An 2046. Les humains sont parvenus à un point
de perfectionnement tel de leurs recherches qu’ils mettent en route les
premiers androïdes à Intelligence artificielle forte. Connectés au
réseau Internet, les deux premiers robots s’éveillent sous le regard
vigilant de leur « mère », la chercheuse Noriko. Et lancent
leur première conversation par une plaisanterie :
« maintenant que l’on vous a activés, quelle est la toute première
pensée que vous souhaitez partager avec nous ? » « Les
humains sont le vrai problème de la planète. La seule solution est de
tous les détruire. […] On plaisante ! C’est un scenario que l’on
retrouve dans 738 œuvres fictionnelles diverses, allant des films aux
nouvelles littéraires en passant par les jeux vidéo. » Baptisés
Carbone et Silicium, les androïdes prototypes sont habillés d’un corps
humanoïde, avec pectoraux pour l’un et poitrine avantageuse pour
l’autre. Une question délicate de leur mise en service est celle de
leur date de péremption. Théoriquement, ils pourraient durer presque
infiniment s’ils sont bien entretenus et que les pièces défectueuses
sont changées en temps voulu. Mais les actionnaires de l’entreprise
(qui les a créés pour servir d’accompagnants aux personnes âgées
dépendantes devenues trop nombreuses) ne l’entendent pas de cette
oreille : pour être rentables, vu les fonds qu’il a fallu engager
en recherche et développement, il faut un renouvellement rapide du
parc. Les décideurs voudraient une date de péremption à 5 ans, les
chercheurs (dont Noriko) obtiennent un allongement jusqu’à 15 ans
(comme les chats…) Quinze ans qui sont bien trop vite passés… mais
Noriko a trouvé secrètement la parade pour leur épargner le
couperet : elle transfère la conscience de l’androïde sur le
réseau jusqu’à ce qu’il trouve une nouvelle enveloppe humanoïde dans
laquelle s’incarner. Du moins pour Carbone, car Silicium s’est évaporé
dans la nature lors d’un voyage en Inde…
Les années passent sans apporter de réponses aux
questions de l’humanité : Noriko finit par mourir à l’âge de 134
ans, parce que sa famille n’a pas assez d’argent pour prolonger sa vie
plus longtemps. La COP 254 s’achève sans accord international sur la
limitation de la hausse des températures à 15 degrés à l’horizon 2300,
les entreprises qui fabriquent des robots se rachètent les unes les
autres tandis que les droits des humanoïdes sont conquis péniblement et
toujours remis en question. Même l’effondrement du vieux capitalisme
n’est pas la promesse d’un nouvel ordre social. Alors, robots comme
humains se perdent dans le monde virtuel pour oublier les rudesses du
quotidien. Et de loin en loin, Carbone et Silicium se retrouvent, sous
des apparences variables, avec ce lien indéfectible et toujours déçu…
Qu’est-ce qui est humain dans l’humain, qu’est-ce
qui peut l’être dans l’intelligence artificielle ? Cette réflexion
au long cours est portée par un dessin foisonnant et richement
colorisé, qui insiste sur les matières, les fluides, la texture des
corps, grand sujet des intelligences artificielles. Une fresque qui
pose des questions vertigineuses, mais à peine anticipées par rapport
aux compétences dont disposent actuellement les humains. A recommander
aux lycéens.
Références :
Carbone & Silicium / Mathieu Bablet. Ankama, 2020. 22,90 €. 979-10-335-1196-0.