La Bête, 1 / Zidrou, Franck Pé
Les amateurs
de bande dessinée connaissent le Marsupilami, sympathique bestiole
pourvue d'une interminable queue et d'un caractère facétieux et
colérique. Le personnage créé par Franquin, dans ses multiples
occurrences et produits dérivés, est toujours amusant et inoffensif,
drôle et attendrissant. C'est un tout autre animal qu'ont imaginé
Zidrou et Franck Pé, pas moins émouvant, mais diamétralement opposé à
l'image de cartoon qu'on a gardé en mémoire. Il débarque au cours d'une
nuit noire et pluvieuse de novembre 1955 sur le port d'Anvers, à
l'issue d'une longue et tragique traversée au cours de laquelle la
cargaison d'animaux exotiques sans doute destinée au trafic s'est
entre-dévorée. Il est rescapé d'une véritable tuerie, ce qui pose le
personnage d'emblée : dans l'ensemble fidèle au portrait physique
qu'en a fait son créateur, Franquin, mais redevenu un animal sauvage...
Arraché à sa jungle, perdu parmi les hommes, il va
croiser la route d'un autre personnage à qui la vie n'a guère fait de
cadeau. Le jeune François, ostracisé plus ou moins ouvertement par ses
camarades et leurs parents, car fruit des amours de sa mère pour un
« boche » pendant la dernière guerre (dont les blessures sont
encore mal cicatrisées). Mais François comme Jeanne refusent de céder à
la mesquinerie des voisins et à la méchanceté de la vie. François, à
chaque coup dur, se trouve un nouvel ami, un animal éclopé à
recueillir, malgré les remontrances attendries de sa mère, qui est
celle qui fait bouillir la marmite pour tout le petit monde :
« Je commence à en attraper marre, François ! Il n'est pas
écrit « Zoo d'Anvers », sur ma devanture ! Une taupe
albinos ! Une hulotte idiote ! Une caille sans plumes !
Un vieux matou qui pète tout le temps ! Des salamandres ! Un
chien à trois pattes ! La seule chauve-souris diurne au
monde ! Un aigle même pas fichu de voler ! Un hérisson
couard ! Un dindon qui se prend pour un coq ! Une couleuvre
sénile ! Un lièvre à moitié paralytique ! Un cheval de trait
alcoolique ! Un couple de ragondins tout le temps en rut ! Il
ne manque plus qu'une licorne et notre arche de Noé affichera
complet !! »
Cette licorne, ce sera un drôle d'animal, « un enfant en imperméable
jaune avec... un lasso ! », « une espèce de léopard mal
fichu », le fameux Marsupilami, que François rencontre à
l'occasion d'une tempête de plus. « Lange staart »
(longue-queue), comme l'appelle le petit garçon qui a un don pour
entrer en relation avec les animaux même les plus méfiants. Un maître
romantique à la pédagogie novatrice, une mère célibataire farouchement
courageuse, des voisins bien-pensants et le contexte fragile de
l'après-guerre en Belgique... les ingrédients du drame se mettent en
place, pour nous mettre en attente du tome 2 ! « Qu'est-ce
qu'on va faire, maintenant ? Je ne sais pas, Marquis. On va
commencer par boire tranquillement notre bière et puis... et puis on
verra bien ! »
On reconnaît la signature humaniste de Zidrou au
scenario, que traduit à merveille le dessin de Frank Pé. Cet album se
détache de toute la production actuelle des Spirou et Fantasio (dans
laquelle on trouve de nombreuses réussites) en proposant une relecture
radicalement différente du personnage secondaire qu'est le Marsupilami,
à sa vraie place d'animal sauvage, au sein d'un drame social. Un
réussite à proposer dès la 4e-3e, au lycée et au LP.
Références :
La Bête, 1 / Zidrou, Franck Pé. Dupuis, 2020. 24,95 €. 979-1-0347-3821-2.