Bourbon Street, les fantômes de Cornélius / Philippe Charlot, Alexis Chabert
A l'heure de
la retraite, Alvin, jazzman de la Nouvelle-Orléans à la carrière
honorable, est soudain pris d'un regain d'ambition à la lecture du
journal. Si les papys du Buena Vista Social Club rencontrent le succès
que l'on sait, pourquoi son groupe à lui ne pourrait-il pas se relancer
? Première étape, convaincre les musiciens. Oscar et Daroll tuent leurs
journées en terrasse, et si la proposition leur semble au premier abord
incongrue, ils sont un peu secoués par le fait qu'Alvin les traite de
vieux. Et puis après tout, ils n'ont rien de mieux à faire... Il manque
encore un musicien, cependant, le meilleur. Celui avec lequel Alvin a
commencé sa carrière, et qui a disparu cinquante ans plus tôt. Depuis,
pas de nouvelles de Cornélius. Quoique... la serveuse du bar a hérité
de Magnolia, sa trompette. Et les habitants du Bayou disent entendre
parfois sa musique monter des eaux du Mississippi.
Malgré les blessures du passé, qui ont laissé
leurs traces sur les corps et dans les cœurs, Alvin croit à ce nouveau
rêve, et décide d'y faire croire les autres avec lui. Jusqu'à retrouver
Cornélius dans une station-service miteuse, aux ordres d'une grosse
mégère, et lié par un serment vieux d'un demi-siècle. Ce que ne
parviennent pas à accomplir les vivants, les morts peuvent peut-être le
faire, dans ce Sud chargé d'esprits et de surnaturel ? Ce sera un grand
absent ayant jadis croisé la route de Cornélius qui le convaincra de
tenter l'aventure. Stachmo, Louis Armstrong, ombre tutélaire des
jazzmen et des trompettistes en particulier, descend de son piédestal
d'éternité pour pousser Cornélius dans la bonne voie. Armé de son
sourire légendaire, il balaie d'un revers de mouchoir les doutes du
musicien : après tout, la fidélité aux vivants n'a-t-elle pas autant de
valeur que le respect des morts ? Et quoi de plus important que la
musique, au bout du compte ?
C'est ainsi que Cornélius retrouve, avec sa
trompette et ses amis, le goût de la vie. Avant de prétendre, comme les
Cubains du Buena Vista Social Club, au faste du Carnegie Hall, il reste
à travailler un peu les morceaux, trouver un producteur, des salles...
Mais ceci est une autre histoire !
La Nouvelle-Orléans inspire les auteurs, et
cette bande dessinée préfacée par Julien Delli Fiori se tire
parfaitement du défi de faire vivre la musique et les ambiances du
Vieux Sud dans cet album. L'histoire est plutôt bien ficelée, mais ce
qui fait surtout la qualité de l'album, c'est le trait particulièrement
réussi d'Alexis Chabert, rehaussé par une mise en couleurs bien dosée
de Sébastien Bouet. Le cahier graphique joint à la première édition
rend compte de la méthode d'Alexis Chabert, qui cherche d'abord un
style comique pour ses personnages avant de leur appliquer un filtre
plus réaliste. Le résultat est un trait réaliste délesté de la lourdeur
de la copie qui fige souvent la BD de cette mouvance : un effet de réel
léger, rond, épicurien, qui fait de cet album un plaisir des sens, à
proposer sans réserve aux lycéens et en collège dès la 4e/3e.
Références :
Bourbon street, les fantômes de Cornélius / Philippe Charlot, Alexis
Chabert. Bamboo, 2011. (Grand Angle). 978-2-8189-0595-1. 13,50 €.