Cette
histoire, inspirée de faits réels, se déroule en 1832, à Canterbury,
dans la partie nord des États-Unis (Connecticut). A cette époque,
l’esclavage n’a pas encore été aboli sur le continent nord-américain,
mais les états du nord l’ont supprimé. Les noirs sont
« libres », mais n’ont aucun droit citoyen. Du reste, ils
sont peu nombreux. Trente ans plus tard, l’esclavage sera
officiellement aboli dans toute l’Union, mais les tensions raciales
sont très vives dans le sud : certaines révoltes d’esclaves
conduisent à un durcissement des positions des blancs qui restreignent
encore les droits des noirs.
A Canterbury, Mademoiselle Crandall enseigne aux
jeunes filles de bonne famille de la bourgade, sous l’œil paternaliste
et volontiers inquiet des bourgeois qui financent l’école (en quoi
apprendre l’arithmétique, la géographie, l’astronomie… peut-il aider
les femmes dans leurs tâches quotidiennes?) Lorsque Sarah, la petite
bonne noire, vient lui demander pourquoi quand on met un bâton dans
l’eau, il donne l’impression de se briser, Prudence Crandall prend une
décision dangereuse : elle va accueillir Sarah sur les bancs de
son école. Devant la levée de boucliers que suscite une décision
qu’elle n’a pas pu défendre (les femmes n’ont pas le droit de prendre
la parole devant l’assemblée municipale), elle doit se rendre à
l’évidence : si elle accueille Sarah, elle ne peut plus recevoir
ses élèves blanches, toutes retirées par leurs familles. Qu’à cela ne
tienne, elle fera la classe à des jeunes filles noires seulement. Et
certaines viendront de loin pour suivre un enseignement qui ne leur est
pas ouvert là où elles habitent. Mais la communauté bien pensante n’est
pas à court d’idées pour mettre des bâtons dans les roues de la jeune
institutrice : elle sera emprisonnée, et son école sera visée par
une grande variété de dégradations (des excréments sur la porte à
l’empoisonnement du puits), traînée devant la Cour suprême de Hartford
pour tenter de la faire fermer… jusqu’à ce que les hommes de la ville,
devant tant de détermination, décident de mettre le feu au bâtiment
dans lequel dorment les pensionnaires et leur professeure. Pourtant,
même si Prudence Crandall s’en va, même si l’école ferme, ce qu’elle a
semé donne du fruit : ses élèves, instruites, deviennent elles
mêmes enseignantes, pour que le mouvement ne s’arrête plus.
Sous les traits à la fois doux et tranchants de
Stéphane Fert, dans une palette d’harmonies brunes, prunes et anis,
cette histoire tristement vraie mêle les thématiques, car tout est
lié : l’ignorance, le racisme, la misogynie…
« Nat Turner [esclave révolté responsable d’un massacre] et sa
bande n’étaient pas seulement chrétiens, esclaves et noirs. Ils avaient
un autre point commun.
- Ah oui ? Et lequel ?
- C’étaient des hommes. »
Une bande dessinée sensible et profonde pour aborder une page
d’histoire américaine autant que les questions fondamentales
constitutives des valeurs de la République. A proposer dès le collège.