Bienvenue, 1 / Marguerite Abouet, Singeon
Bienvenue
est une jeune parisienne complexée par son prénom et qui semble avoir
un talent particulier pour attirer les situations désagréables. Elle
est dotée d'une mère castratrice qui refait sa vie avec un paysan
devenu millionnaire après avoir gagné au Loto. Elle partage une
mansarde sous les toits avec Lola, qui attend de pouvoir faire une
carrière d'actrice en écumant les castings des clips de rap, dépense en
fringues ses payes épisodiques et sort avec un beau mec défiguré qui
lui cache ses fréquents séjours en prison. Elle partage les secrets de
sa copine Olga, qui vit une histoire d'amour défendue avec son propre
cousin. Elle court de l'école d'arts au baby-sitting, et finit ses
journées par des extras dans les soirées des beaux quartiers. Elle
s'inquiète de ses voisins de palier, entre celui qui rentre saoul après
avoir été recalé à un énième entretien d'embauche, celui qui cogne sa
femme parce qu'elle ne peut pas avoir d'enfant, celui qui garde la
sienne enfermée pour lui éviter les tentations extérieures... Et comme
si ça ne suffisait pas, elle se fait alpaguer par une suicidaire
récidiviste qui la requiert à la moindre saute d'humeur.
Au fond, tout
ceci n'est peut-être que justice ? Bienvenue a un petit côté vierge
effarouchée, qui lui fait répondre vertement aux sollicitations
bienveillantes de ses camarades de promo, et une intransigeance qui
l'amène à dire ses quatre vérités à qui la pousse dans ses
retranchements. Florilège : au compagnon de sa mère qui annonce d'un
air satisfait : « eh oui mes petits, j'ai roulé ma bosse et
travaillé dur pour être ce que je suis aujourd'hui », elle renvoie
par-dessus le café dominical : « oui bravo ! Les autres personnes
travaillent pour être quelqu'un d'autre, c'est connu ». A Lola qui
lui demande de se trouver un autre gîte pour la nuit parce que Charlie
vient ce soir : « ce type te prend juste pour sa poupée
gonflable ». A Pénélope qui veut se jeter sous le prochain métro :
« Vous suicider, là maintenant ? Ah non, ça ne va pas être
possible !
- Ne vous mêlez pas de mon suicide !
- Il ne fallait pas me le dire dans ce cas.
- Et pourquoi pas ?
- Bah, vous allez embêter tous les usagers, c'est pas sympa. »
Elle est pourtant généreuse,
Bienvenue. Octave et Alice, les enfants qu'elle garde, l'adorent. Elle
est capable de passer la soirée au chevet du voisin le temps qu'il
dessaoule, et de sécher les cours si Pénélope a un coup de déprime. Qui
sait, elle pourrait même tomber amoureuse, avec sa frange dans les
yeux, son jean avachi et son éternelle veste bleue...
Après Aya de
Yopougon, qui l'a imposée comme un des noms de la bande dessinée
actuelle, Marguerite Abouet installe son récit à Paris, avec le même
intérêt pour l'univers et les préoccupations des jeunes adultes, et
avec la même verve volontiers tranchante. On sourit souvent, on rit
aussi des saillies et des déconvenues de cette parisienne qui ne se
laisse pas abattre. Le récit n'est pas illustré par le même dessinateur
que pour Aya, et pourtant on se sent en terrain familier, comme si
l'univers de Marguerite Abouet, par la force de son identité propre,
était reconnaissable à travers des graphismes différents. Malgré un
trait épuré, les personnages ont leur identité propre, surtout les
personnages féminins, bien distincts graphiquement (ce qui n'est pas le
cas chez tous les dessinateurs de BD). Voici donc une nouvelle série à
suivre de près chez un auteur qui compte dans la bande dessinée
actuelle. La série est accessible dès le lycée et le LP, même si elle
s'adresse plutôt aux jeunes adultes.
Références :
Bienvenue, 1 / Marguerite Abouet, Singeon. Gallimard, 2010. (Bayou). 16,50 €. 978-2-07-062641-0.