L'ange de la Retirada / Serguei Dounovetz, Paco Roca
Si la
première vague d'immigration espagnole en France, à la fin du 19e
siècle, obéissait principalement à des motifs économiques, la deuxième
période, connue sous le nom de « Retirada », vit de nombreux
réfugiés fuir la guerre civile espagnole puis la victoire de Franco.
Cet épisode a traversé l'histoire de la famille de Victoria, mais elle
n'en n'a jamais rien su, car elle-même est née en France. Faute de quoi
la jeune fille passe la majorité de son temps libre à la Colonie
Espagnole de Béziers, s'interrogeant sur l'opportunité désormais
offerte par la loi espagnole aux enfants d'exilés de récupérer leur
nationalité. Adrian, fidèle compagnon des cours d'art et des sorties en
tous genre, ne comprend pas cette soudaine lubie de son amie. Et comme
à chaque fois qu'il ne comprend pas elle le traite de footballeur, leur
relation est un peu tendue ces derniers temps...
Il faut dire que Victoria est un peu égarée
entre ses songes et la réalité, passant son temps à s'endormir et à
rêver d'un homme mystérieusement attiré vers elle, et qui l'entraîne
dans le passé. Avec lui, elle va fuir l'Espagne par les chemins
muletiers, et arriver à Argelès sur Mer, où 100 000 réfugiés espagnols
furent parqués dans un camp par la police française au cours de la
Retirada. Le passé affleure dans les moindres gestes de Victoria,
alimenté par les activités de la Colonie Espagnole (pique-nique sur la
plage d'Argelès, soirée anniversaire fêtant les 120 ans, avec concert –
improbable mais vrai ! de Manu Chao) et il faut bien toute la
persévérance d'Adrian pour maintenir la jeune fille dans la réalité.
Ces deux-là sont pourtant en mauvaise posture pour se rejoindre : quand
elle lui parle de ses origines, il lui répond qu'il n'est pas une
plante verte et qu'il n'a que faire de racines...
L'album, au graphisme simple et efficace, a un
attrait documentaire évident pour les professeurs d'espagnol. Il
apporte un éclairage facile d'accès sur une période importante de
l'histoire de l'Espagne. Il est parfois un peu bavard, ce dont les
auteurs ont du avoir conscience quand ils placent dans la bouche du
président de la Colonie, en ouverture de la fête anniversaire, la
réplique suivante : « je vous épargnerai un long discours qui
serait difficile à caser dans une bande dessinée ». D'autre part,
je me demande dans quelle mesure il ne serait pas judicieux de prévenir
les plus jeunes de nos lecteurs du mélange permanent dans les bandes
entre la réalité et les rêves de Victoria. Un œil pas trop averti
pourrait en effet se trouver rapidement dérouté par les allers-retours
temporels et un certain flou dans l'identité des personnages. Ces
réserves énoncées, on peut sans difficulté proposer cette lecture aux
élèves de collège, et pourquoi pas en lycée et LP, à la fois pour son
intérêt documentaire et pour une intrigue bien menée.
Références :
L'ange de la Retirada / Serguei Dounovetz, Paco Roca. 6 Pieds Sous Terre, 2010. (Plantigrade). 978-2-35212-055-1. 13 €.