Ar-Men, l’Enfer des enfers / Emmanuel Lepage

Couverture de l'album
    « Le marin rêve face à la mer, la gardien de phare face à la terre ».

    Emmanuel Lepage nous emporte à nouveau au fil de ses magnifiques visions marines aquarellées d’écume, sur l’échine d’un récit mi-historique mi-légendaire pétri de pâte humaine. Il nous raconte cette fois-ci l’étonnante construction du phare d’Ar-Men, le plus inaccessible de France, bâti au large de l’île de Sein et gardé de 1881 à 1990. Cet édifice déraisonnable fut imaginé par la direction des phares et balises alors qu’un énième bateau de la flotte de sa Majesté l’Empereur s’éventra sur la Chaussée, chapelet de roches qui affleurent depuis l’île. Sa construction prit quinze ans, et aurait été impensable sans l’aide des îliens, les seuls à connaître suffisamment la Chaussée pour pouvoir approcher des rochers sur lesquels on allait asseoir les fondations de l’édifice. A raison de quinze minutes de travail par jour dans les premiers temps (le seul laps pendant lequel le rocher est suffisamment à découvert, la durée de ce qu’on nomme « l’étale »), la mise en place des bases du phare demanda à elle seule plusieurs années… Le récit épique de cette construction se mêle aux souvenirs de la légende d’Ys, la cité engloutie en baie de Douarnenez, et aux fantômes qui hantent Germain, gardien exilé du monde pour supporter une peine trop profonde. Il n’est cependant nulle part où aller assez loin pour que nos cris intérieurs se taisent. Même si la mer est furieuse, même si les hommes qui nous ont précédés ont laissé la trace de leurs propres douleurs, aucun repos ne saurait être trouvé par celui qui n’accepte pas la réalité.
   
    Comme toujours, le trait est juste et la mise en couleurs puissante. Ces qualités de dessinateur – de peintre même, sont ici associées à un récit maîtrisé qui entremêle plusieurs niveaux de réalité. On est emportés par l’humanité autant que par le souffle épique de ce récit à plusieurs niveaux, finalement apaisé par le retour des gestes familiers, comme une acceptation douce de ce qu’on ne peut pas changer, le passage de témoin des gardiens du phare : « le feu est clair, tout va bien ».

Dès la 4e-3e, et pour les lycéens.




Références :
Ar-Men, l’Enfer des enfers / Emmanuel Lepage. Futuropolis, 2016. 21 €. 978-2-7548-2336-4.